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N° 13 novembre 2018 : La géographie d'un événement aux répercussions mondiales - la Révolution française:

L'espace des réguliers de Nancy pendant la Révolution, de la frontière sacrée à la laïcisation urbaine

Cédric Andriot


Cédric Andriot, Docteur ès Lettres, Professeur d'histoire et de philosophie au lycée Monnerville de Kourou  MINEA EA 7485 (Université de Guyane)



Résumé. S'il est un espace qui a été modifié par l'expérience révolutionnaire, c'est bien celui des réguliers. Sous l'Ancien Régime, la place de ceux-ci est incontournable en ville, et plus particulièrement à Nancy où l'incontournable emprise monastique résulte d'une longue politique de reconquête catholique menée par la famille ducale. Soumis à une constante tension entre le siècle et le cloître, le monastère urbain s'entoure d'une clôture sans se couper d'une ville avec laquelle il est en constante interaction. La Révolution, en chassant les moines, fait tomber les murs : la frontière sacrée du "hortus conclusus" s'ouvre alors au profit d'une nouvelle conception de la ville répondant aux rêves d'efficacité d'un siècle nouveau.: 



Mots-clés : clergé régulier, Nancy, biens nationaux, paysage urbain, aménagement urbain



Abstract: The space occupied by the regular clergy was certainly one of those that was the most radically modified by the French Revolution. Under the Ancien Régime, the regular clergy occupied a crucial place, particularly in a town like Nancy, where its presence on the eve of the Revolution was the result of a Catholic reconquest initiated by the dukes. Monastic life implied to seperate the cloisters from the surrunding urban areas, without, cutting it from the secular life of the city, to which it was closely linked by multiple interactions. By chasing off the monks, the Revolution made fall the monastic walls: the sacred boundary of the "hortus conclusus" was opened at the benefit of a new conception of the city corresponding to a new era's desire of efficiency.



Key words: regular clergy, Nancy, national property, townscape, urban planning



Est géographique ce qui peut se dessiner sur une carte. Autrement dit, la géographie est la science de l’espace des sociétés, tandis que l’histoire est celle de l’évolution des sociétés dans le temps. Faire converger les deux approches ouvre une dimension féconde, qui permet d’écrire une histoire empathique, du vécu et du sensible. Ce regard posé au niveau de l’individu est particulièrement éclairant pour quiconque souhaite revisiter le maquis de l’histoire révolutionnaire, et notamment pour ce qui est de la question religieuse. Longtemps dominée par une historiographie ecclésiastique prompte à juger les trajectoires individuelles selon des critères parfois anachroniques, l’histoire religieuse gagne à être revue à la hauteur d’hommes et de femmes sommés d’acter des choix décisifs alors même qu’ils étaient emportés dans le tourbillon des évènements révolutionnaires. Car s’il est un pan de la société qui a été irrévocablement transmuté par la Révolution, c’est bien le clergé. Visé dès les premiers jours de la Révolution par le projet de confiscation des biens nationaux, rapidement suivi par la suppression des vœux monastiques, et enfin par la constitution civile du clergé, le premier ordre de la société est totalement dispersé, de même que le sont ses biens séculaires. Abbayes, terres, forêts, sont vendus à l’encan dans une formidable volonté de redistribution foncière. C’est donc une géographie radicalement nouvelle qui jaillit des décombres de l’ancien monde jeté à bas par l’épisode révolutionnaire.



Or, la problématique du rapport entre l’homme et son espace alimente une historiographie religieuse renouvelée. Les cadres de questionnement sont précisés en 2010 lors du 135e congrès du CTHS tenu à Neuchâtel sous l’intitulé « Paysages », dans sa partie « Paysage et religion – perceptions et créations chrétiennes » (Brunet, Martin, 2015). Dans cette perspective, la Lorraine offre un terrain d’investigation d’une richesse exceptionnelle. Sa situation de terre d’entre-deux, entre France et Empire, théâtre d’une lutte d’influence pluriséculaire, anime la réflexion du groupe de recherche « Les Trois-évêchés », notamment lors de la journée d’étude « Diocèses et évêchés. Territoires et paysages » tenue à Metz en 2012 (Bourdieu-Weiss, 2013). A l’enjeu géopolitique, s’ajoute un enjeu géostratégique : la Lorraine, avec son université de Pont-à-Mousson dirigée tel un fer de lance catholique vers le flanc germanique du monde protestant, fait figure de clé de voûte de la dorsale catholique, s’étendant des Pays-Bas autrichiens aux États de Savoie. Cette dimension, devinée par René Taveneaux, a été récemment approfondie dans le colloque « La dorsale catholique – jansénisme – dévotions : XVIe-XVIIIe siècles. Mythe, réalité, actualité historiographique », tenu à Nancy en 2011 (Deregnaucourt et allii, 2014). Et cette perception de frontière de catholicité se conjugue avec les représentations congréganistes d’un espace structuré autour de provinces religieuses, comme l’a montré la table ronde « Réalités provinciales en histoire religieuse. Autour de la Lorraine, XIIe-XVIIIe siècles » (Barralis, Simiz, 2013). Plus récemment, la thèse publiée de Claude Faltrauer s’interroge sur l’inscription des Bénédictins dans l’espace lorrain, notamment à travers leur politique architecturale (Faltrauer, 2018).



Au rapport des congrégations régulières à leur espace d’appartenance, s’ajoute la question du regard porté par les profanes sur les réguliers. Nancy est à cet égard un objet d’étude particulièrement intéressant. Ville sonnante couverte d’un blanc manteau d’églises et d’établissements conventuels, Nancy inscrit dans la pierre la politique de réforme catholique des ducs de Lorraine. Ces derniers se voient en champions de la catholicité : le duc Antoine s’illustre en repoussant les paysans protestants à Saverne en 1525, tandis qu’un siècle plus tard, son successeur Charles IV, tourmenté par la guerre de Trente ans, affirme la souveraineté de la Vierge sur ses États. Aussi, la fondation de la Ville Neuve de Nancy en 1588 par le duc Charles III est l’occasion d’extérioriser cette ferveur. Quarante ans seulement après l’acte créateur de Charles III, ce sont déjà 13 maisons religieuses qui se sont implantées dans la Ville Neuve, s’ajoutant aux trois déjà présentes dans la Ville Vieille. Cette frénésie de fondations, puissamment encouragée par la famille ducale, fait dire aux contemporains que le duc de Toscane avait construit une ville pour les commerçants, le duc de Mantoue pour les banqueroutiers, et le duc de Lorraine pour les moines. Au milieu du XIXe siècle, le souvenir de cette omniprésence conventuelle est encore rappelé par Lepage qui décrit une ville alors pleine « de maisons religieuses, de tous les ordres, de toutes les congrégations, dont les flèches, les clochers et les tours donnaient de loin à la ville l’aspect d’une ville pontificale » (Andriot, 2001, 1).



Pourtant, l’historiographie s’est longtemps désintéressée des réguliers, vivant en principe cloîtrés à l’écart de la société. En principe justement. Car les pieux directeurs de conscience de l’Ancien Régime ont beau prescrire la clôture la plus rigoureuse[1] (Cherrier, 1764), elle ne concerne jamais qu’une partie des réguliers. Pour les ordres contemplatifs les plus stricts, la clôture monastique a certes l’apparence d’une frontière imperméable avec ses murailles opaques, ses grilles, ses parloirs et ses tours. Mais aucun monastère ne peut survivre sans établir un puissant réseau de relations avec le milieu environnant : tout un monde de fidèles, de serviteurs, de parents, d’artisans, de fournisseurs, de locataires, de fermiers et d’hommes de loi fréquentent les religieux, dont l’entretien dépend tout ou partie de la charité publique[2]. Souvent plus symbolique que réelle, la clôture est donc une frontière poreuse de part et d’autre de laquelle se développent des relations d’intensité variable selon le degré de réclusion prescrit par la règle et pratiqué concrètement par chaque communauté religieuse.



En faisant tomber ces murs en même temps que les cloîtres, en ouvrant la ville sur cet archipel d’isolats urbains, la Révolution transforme radicalement la ville ainsi que la manière de l’habiter. Comment cette ville de moines qu’est le Nancy d’Ancien Régime devient un espace à reconfigurer ? Quelles stratégies sont déployées pour réutiliser l’espace gagné par la ville sur les ci-devant monastères ? Et quelles sont les conséquences de ce tsunami urbanistique sur le fonctionnement de la ville ? Autant de questions auxquelles nous allons proposer de répondre en élargissant, lorsque la comparaison sera éclairante, à d’autres situations analogues de Lorraine.



 



I. L’ESPACE DES REGULIERS AVANT LA REVOLUTION



Quelle est la place des réguliers dans l’organisation spatiale de Nancy au moment où éclate la Révolution ? La Ville Neuve de Nancy, conçue à la Renaissance selon un plan d’inspiration hippodamique, est composée de vastes îlots ou « carrés », parmi lesquels certains sont attribués dès l’origine aux religieux à la condition qu’ils y établissement un couvent. Un emplacement est immédiatement réservé pour les Bénédictins de Saint-Léopold donnant sur l’actuelle rue des Ponts, tandis que « dès 1590, lors de la distribution du terrain dans la Ville-Neuve, on avait réservé aux Capucins un terrain à l’angle sud-est des rues Saint-Dizier et de Grève »( Pfister, 1902, p. 848), où ils bâtissent leur église à partir de 1592. Ces implantations concernent d’abord la partie sud de la ville, moins convoitée et par conséquent plus difficile à développer. L’éloignement du palais, alors centre névralgique de la cité, explique cette faible densité qui permet d’implanter de vastes établissements monastiques sur un mode extensif. En face du couvent des Capucins, subsiste longtemps un vaste espace vacant, représenté tant sur le plan de La Ruelle de 1611, que sur celui de Mérian de 1645 ; de même, lorsque Antoine de Lenoncourt se fait construire en 1592 une propriété là même où s’élèvera en 1602 le noviciat des Jésuites (fig.1 - 3), il la qualifie de « maison de récréation », ce qui témoigne du caractère champêtre des environs de la porte Saint-Nicolas. Autant d’éléments qui expliquent pourquoi cette partie sud de la ville, peu recherchée des particuliers et difficile à lotir, est attribuée prioritairement aux réguliers.



 



 





Figure 1



Façade du noviciat des Jésuites, rue Saint-Dizier. L’élévation est caractéristique de l’architecture monastique lorraine de l’âge classique, manifestant une régularité quasi-militaire. Etat en novembre 2018



 



 





Figure 2



Vestiges de l’église du noviciat des Jésuites, rue Saint-Dizier. Malgré la suppression de l’escalier menant à la porte centrale, on retrouve intacte la façade gravée par Israël Sylvestre au XVIIe siècle. Etat en novembre 2018



 



 





Figure 3



Veuë et Perspectiue des Eglises des Capucins, et des Peres Jesuistes de Nancy

Israël Silvestre 



Cependant, là même où des projets privés auraient pu voir le jour, priorité est donnée aux réguliers : « Les propriétaires [des parcelles attribuées aux Minimes en 1592] furent obligés de céder le terrain aux religieux, au prix fixé par les commissaires, même s’ils avaient eux-mêmes l’intention de construire ; les Minimes pouvaient élever des maisons et des boutiques le long des trois rues sur lesquelles donnaient leur couvent » (Pfister, 1902, p.835). Or, sur les huit parcelles ainsi attribuées aux Minimes, trois sont déjà couvertes de maisons que les Minimes démolissent, preuve que le projet d’accueillir des ordres religieux dans la Ville-Neuve passe au-dessus de toute autre considération. De même, les Carmes s’établissent en 1615 sur la place de la Licorne, obligeant le marché au vin qui s’y tenait à se transporter ailleurs (Lionnois, 1811, 383) Cette politique de réforme catholique est accentuée en ces Trente glorieuses du XVIIe siècle, sous les ducs Henri II (1608-1624) et Charles IV (1624-1675) qui multiplient les fondations religieuses, désormais établies aussi bien intra-muros (Prémontés, Bénédictins, Carmes, Tiercelines…) que dans la campagne avoisinante (Tiercelins de Notre-Dame des Anges, Cisterciens de Clairlieu, Chartreux de Bosserville, seconde maison de Minimes à Bonsecours). En outre, entre le centre et ces périphéries, toute une couronne de vignobles et de jardins est accaparée par ces religieux dans les villages entourant Nancy (Maxéville, Laxou, Lay-Saint-Christophe…).



L’emprise spatiale des réguliers du Nancy prérévolutionnaire est donc considérable. En ville, hormis les couvents les plus anciens (Cordeliers, Dames prêcheresses) enclavés dans le bâti depuis l’époque médiévale, la plupart des maisons religieuses donnent sur plusieurs rues, occupant parfois même comme les Tiercelins un carré tout entier bordé de quatre rues. Dans tous les cas, les contemporains comme Lionnois désignent chaque carré en fonction de la maison religieuse qui par sa présence lui donne son identité. Cherchant à se retrancher du monde malgré leur paradoxale implantation urbaine, les religieux édifient dans la mesure du possible leurs bâtiments en retrait de la rue, et se séparent de l’espace public par la construction de murs de clôture[3]. Ainsi, afin d’éviter la promiscuité d’un voisinage dérangeant, les Visitandines achètent à crédit deux maisons en 1636 « pour en déloger de si mauvais voisins » Lionnois, 1811, p. 329)[4], qu’elles abattent pour augmenter leur jardin. Les Tiercelines, qui donnent sur trois rues, agrandissent de même leur jardin en rasant cinq maisons de la rue Saint Dizier, qu’elles remplacent par un mur assez haut pour qu’il faille le renforcer par des « contremurs » en 1742. Derrière ces murs, les sœurs aménagent un jardin et une basse-cour agrandie en 1736[5]. Au moment de la Révolution, cette vaste enclave de verdure en milieu urbain contient 34 ceps de vigne, 8 poiriers, 3 abricotiers, 9 pommiers, 2 groseilliers et 1 prunier, tous disposés sur des treillages le long des murs ; tandis qu’au centre du jardin, un poirier et neuf pommiers font de l’ombre au potager qui occupe le reste de l’espace. L’agrément n’est pas oublié puisque les sœurs y disposent un cadran solaire monté sur un poteau de pierre de taille, ainsi que trois « cabinets » appuyés sur le mur du fond, formés de treillages couverts de vigne, au sol en carreaux de terre cuite, le tout couvert de tuiles afin d’abriter des bancs de bois et de pierre[6]. Pareils aménagements se voient à la même époque dans le jardin des Tiercelins, près de la cathédrale[7], ou encore, hors les murs, chez les Minimes de Bonsecours[8]. Espaces de production aussi bien que de récréation, ces jardins sont indispensables au fonctionnement des communautés (Lionnois, III, 1811, p. 83)[9] qui, soucieuses d’agrandir leur enclos, exercent une forte pression sur les espaces interstitiels de la ville. Plusieurs rues mitoyennes, décrites par les intéressés comme insalubres ou peu fréquentées[10], sont ainsi colonisées par les Bénédictins (Calmet, 1756)[11], les Capucins[12] ou les Minimes[13] sous le règne de Charles IV.



 





Figure 4



Maison construite au XVIIIe siècle sur la rue Saint-Dizier pour servir d’entrée au couvent des Capucins, à la place du mur de clôture primitif visible au XVIIe siècle sur la gravure d’Israël Sylvestre. Des maisons de rapport, initialement construites sur le même plan, s’alignaient à droite, cachant le reste du couvent aux regards de la rue. Etat en novembre 2018 (cliché de l'auteur)



La Guerre de Trente ans fige cette situation en renforçant le recours populaire aux réguliers devant les malheurs des temps. Les premières oppositions sérieuses à cette dynamique spatiale se font entendre en 1669, lorsque « les magistrats de police [obligent les Sœurs grises à] retrancher le cymetière pour bastir […] trois maisons sur les plaintes qui se portèrent à feu Son Altesse Sérénissime Charles IV que la muraille de leurs cymetière défiguroit la rue qui est la plus passante de la ville »[14]. L’arrivée du duc Léopold en 1698 accélère ce mouvement. La reconstruction, le regain démographique et l’irruption des idées nouvelles s’accommodent difficilement de cette dynamique monastique. Leurs espaces d’éternité sont d’autant plus convoités que les Lumières n’y voient qu’une inutile entrave au développement du commerce, des arts et des sciences. Aussi, désireux de règlementer l’urbanisme nancéien par un plan d’alignement, les ducs Léopold puis Stanislas imposent de remplacer les murs de clôture par des maisons de rapport (Lionnois, II, 1811, 113)[15]. Ces prescriptions concernent les rues les plus passantes comme la rue Saint-Dizier, sur laquelle les Carmes construisent une série de maisons en 1716 sur ordre de Léopold (Lionnois,II, 1811, 398), tandis que les Tiercelines y édifient en 1758 sept maisons sur ordre de Stanislas[16].Trop excentrée pour être mise en valeur, la bien nommée rue des Quatre-églises, bordée par quatre monastères[17], garde ses murs et avec eux ses allures de désert. En 1793, l’architecte Poirot, chargé de la division du couvent des Annonciades, estime d’ailleurs que cette rue « est absolument déserte et qu’on sera peu curieux d’y faire la dépense en bâtiments »[18].



Pour satisfaire les autorités sans amputer trop gravement leurs jardins, les religieux se contentent de construire des « culs-levés »( Lionnois, 1811, p.316)[19], c’est-à-dire d’étroites maisons en bande, ne prenant jour que sur la rue, le mur borgne de l’arrière devenant la nouvelle limite de l’enclos monastique[20]. Chez les Tiercelines, ces « maisons de l’extérieur »[21] forment une série de sept habitations identiques donnant sur la rue Saint-Dizier ; toutes sont composées d’une cave voûtée, d’une boutique avec cheminée et pierre à eau au rez-de-chaussée, d’une chambre et d’un cabinet à l’étage, avec greniers et faux greniers par-dessus. Enfin, le toit, en tuiles creuses, n’a qu’un pan afin de déverser les eaux pluviales sur la rue. Au milieu de la bande de maisons se trouve une salle commune équipée de sept latrines et d’une cheminée destinée aux lessives des locataires[22]. Selon la place disponible, des aménagements plus généreux peuvent être consentis à destination des locataires : agissant de leur propre initiative dans un faubourg faiblement peuplé, les Minimes de Bonsecours y édifient trois maisons de location spacieuses avec jardin[23].



Par ces constructions, les communautés religieuses ne font que reculer leur clôture en la dérobant aux regards du public. Dissimulée, la frontière de l’enclos monastique n’en est que plus étanche. En revanche, lorsque les bâtiments monastiques et locatifs se retrouvent imbriqués, se crée un espace de transition au statut incertain. Lorsque Léopold demande aux Capucins d’ériger des maisons en bordure de la rue Saint-Dizier, dans l’espace situé entre leur mur de clôture et leur couvent, ces derniers cèdent cette bande de terrain à un entrepreneur, à charge pour lui d’y édifier six maisons identiques pour son propre compte. Toutefois, les religieux exigent de conserver une septième maison devant servir d’entrée au couvent, ainsi que trois boyaux sur toute la hauteur des bâtiments, et enfin les greniers au-dessus de l’ensemble des maisons. La clôture, ici devenue verticale, est délimitée par « l’arraze des murailles […] sur laquelle arraze seront posées des poutrelles de bon bois de chêne pour recevoir un gueusage de maçonnerie qui formera le dernier plancher dudit bâtiment, au-dessus duquel règnera un faux grenier qui appartiendra auxdits PP. Capucins » (Lionnois, III, 178-180). Plus complexe encore est la situation des Augustins ou des Sœurs grises[24], qui profitent de leur situation en bordure de rue commerçante pour ouvrir des boutiques au rez-de-chaussée de leurs couvents, alors même que les dortoirs des religieux sont à l’étage. Cette promiscuité oblige les religieux à règlementer étroitement la vie des locataires qui partagent leurs bâtiments conventuels. Pour réduire le risque d’incendie, le locataire de la maison située à droite de la porte cochère du couvent des Sœurs grises (Lionnois, II, 1811, 452-453),[25] doit faire ramoner ses cheminées « de six semaines à autres […] par l’ouvrier du monastère ». De plus, « s’il arrivoit qu’ils jetassent des eaux sales, ordures ou matières fécales par les fenêtres qui prennent jour entre les deux grandes portes dudit monastère, les dames pourront en interdire l’usage, et faire patter les vitres toutes fois quand elles le jugerons à propos »[26]. Quant au logement situé sous les chambres des Sœurs grises, il était loué par la supérieure à condition que le preneur « ne pourra faire d’ouvrage bruiant avant cinq hoers du matin, ny passer neuf oeur du soir ; il débitera ses bois dans la caves » ; de plus, pour « la petite cheminée dont le tuyau passe dans ma chambre, il n’y pourroit faire feux qu’avec de la brese […] qui échauvent suffisamment la chambre [du locataire] et qui n’incommode pas la mienne, par le goût de tôle comme de bois », et « ny feront jamais de cuisine, ce qui infecteroit la chambre où passe le corps de tolle et y donneroit trop de chaleur l’été »[27]. Dans ce cas de figure extrême, la notion même d’enclos monastique se brise à l’épreuve des faits, montrant qu’en milieu urbain, la frontière entre la réclusion et le siècle relève davantage de l’idéal à atteindre que de l’expérience vécue.



Lieu de réclusion, de renoncement et de rupture avec le siècle, l’enclos monastique urbain est paradoxalement imbriqué dans l’espace des hommes à la veille de la Révolution. Chaque communauté religieuse, qu’elle soit active ou contemplative, agit comme un acteur de l’aménagement urbain, avec sur le temps long une dynamique de flux puis de reflux. Après avoir exercé une forte pression sur le foncier aux XVIe et XVIIe siècle, la place des réguliers dans la ville est remise en cause par les idées des Lumières qui aboutissent à la Révolution…



 



II. LA STRATEGIE REVOLUTIONNAIRE D’ALIENATION



Depuis l’épisode de la Commission des réguliers, les religieux de France sont dans le collimateur des penseurs comme du pouvoir politique. Leur patrimoine, qu’on imagine immense, est convoité tant pour rembourser les dettes de l’État que pour fonder des institutions scolaires ou hospitalières séculières[28]. La question rebondit en France dès les premiers mois de la Révolution. Le 10 octobre 1789, Talleyrand, assimilant l’Eglise à la Nation, propose la « mise à disposition de la Nation des biens du clergé » ; il est suivi par l’Assemblée nationale qui vote cette nationalisation des biens de l’Eglise le 2 novembre suivant. Après avoir initié les premiers inventaires au début de l’année 1790, l’Assemblée vote l’aliénation de ces biens nationaux pour une valeur de 400 millions de livres, initiant la plus grande mutation foncière de l’histoire de France, concernant près de 10% du territoire (Bodinier, Teyssier, 2000).



Cette rupture est d’autant plus radicale que, parallèlement, la suppression des ordres monastiques interdit toute possibilité de continuation, sous une autre forme, de l’organisation spatiale prérévolutionnaire. Le 12 février 1790, l’Assemblée nationale débat de l’éventualité de l’abolition des ordres religieux. Le lendemain, après un débat animé[29] les vœux ainsi que les ordres monastiques sont abolis, à l’exception de plusieurs congrégations hospitalières ou enseignantes actives. A Nancy, les religieux sont interrogés sur leurs intentions entre avril et juillet : ils peuvent choisir de quitter le cloître, ou accepter d’être rassemblés, tous ordres confondus, dans quelques maisons de réunion comme celles des Cordeliers ou des Capucins de Nancy. A la suite de la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 abolissant les corporations pour proclamer l’égalité de chaque individu face à la loi, la situation des derniers lambeaux des communautés monastiques devient confuse : les Tiercelins sont expulsés de Nancy et doivent se retirer à Sion à cette époque, mais près d’un an plus tard, en mai 1792, les maisons des Cordeliers et des Capucins sont désignées pour recevoir les derniers Minimes de Bonsecours sommés de quitter leur maison sous huitaine[30]. Finalement, le 18 août 1792, une nouvelle loi supprime explicitement toutes les « corporations religieuses », avec toutefois un sursis pour les hôpitaux et maisons de charité.



Devenus publics, les monastères sont d’abord répartis en trois catégories : les maisons de réunion, les dépôts publics de mobilier aliéné (livres et œuvres d’art principalement), et les maisons vidées de leurs occupants en attente d’une vente prochaine. Or, au fur et à mesure que se dispersent les religieux, et malgré les inventaires de la municipalité, les biens sont volés et dégradés, parfois par les religieux eux-mêmes. Au couvent des Tiercelines, les commissaires nomment le 15 septembre 1792 « pour gardiennes et préposées aux meubles et effets inventoriés au revêtement que mis sous scellés etc., […] Margueritte Marchal, Margueritte Lefèbvre, Catherine Chapelier et Margueritte Maguin, toutes quatre ci-devant religieuses Tiercelines et devant rester les dernières ». Mais, le 1er octobre suivant, constatant avec suspicion que dans l’église, il manquait deux grands tableaux et quatre petits cadres « que les cy-devant religieuses assurent avoir été volés », l’administration les relève immédiatement de la garde du monastère, qui est confiée à un citoyen de confiance rémunéré[31]. C’est que les œuvres d’art, bibliothèques et autres curiosités présentes dans les monastères intéressent les autorités désireuses d’y puiser pour constituer le fonds des musées, bibliothèques et collèges publics. La chapelle de la Visitation est choisie pour entreposer temporairement les œuvres d’art prélevées dans les églises de la ville, tandis que s’entassent dans les greniers des Minimes voisins les livres en double non retenus pour le fonds de la bibliothèque municipale de Nancy (Favier, 1883, 175-180 ; Vacant, 1887, 6-7). Malgré cette volonté de préservation, plusieurs édifices remarquables sont délaissés par les autorités : disparaissent ainsi l’exemplaire église baroque des Grandes carmélites avec sa coupole ovale (Simonin, Taveneaux, 2000, 31), la remarquable église-nécropole des Minimes (Marot, 1930, 3-4), ou encore le plafond de l’église des Carmes aux caissons entièrement peints en 1626 par Deruet (Lionnois, II, 1811, 395-396) avec l’assistance de Claude Lorrain (Pfister, II, 808).



C’est que priorité est donnée à l’aliénation de ces biens nationalisés, sous la forme de ventes à la bougie, d’abord organisées sur simple demande d’estimation puis soumission d’un particulier. Comme dans le reste de la France, l’année 1791 voit se succéder une frénésie de ventes aux enchères ; pour Nancy il s’agit surtout de liquider les vignes et jardins de la banlieue avec leurs maisons attenantes : autant de biens susceptibles de trouver facilement preneur. Les maisons de rapport urbaines sont mises à prix à mesure que les religieux quittent leur couvent : celles des Tiercelines sont vendues sans difficultés entre 1792 et 1794, tandis que celles des Sœurs grises, imbriquées dans leur couvent, sont vendues avec lui en 1793. Face à la pression des acquéreurs convoitant ce type de bien attractif, l’administration temporise pour préserver les intérêts des derniers religieux. Ainsi lorsque Léopold Morot, brasseur-aubergiste à Jarville, demande prématurément, le 21 novembre 1791, que soit estimée une maison avec basse-cour sur la route de Mirecourt, le Directoire du district « a arrêté qu’il seroit sursis quant à présent à l’estimation de la maison dont il s’agit, attendu qu’elle dépend de la maison conventuelle des Minimes de Bonsecours et qu’elle est d’une nécessité indispensable auxdits religieux »[32]. Morot attend le 8 juillet 1792 pour reformuler sa demande, qui cette fois reçoit une réponse positive, vu que « la maison des Minimes est évacuée »[33]. Le Directoire du district refuse de même, sans doute pour ne pas déprécier le reste du couvent, de donner suite aux demandes d’estimation de la maison servant d’entrée au couvent des Capucins déposées en 1792[34].



C’est que les monastères urbains posent davantage de difficultés : le maintien des dernières communautés et le manque d’acquéreurs solvables contraignent les autorités à différer de nombreuses fois leurs projets de vente. Si les acquéreurs des maisons de rapport des Carmes et des Tiercelines sont prêts à acheter des parcelles de jardin[35], les constructions monastiques proposées en bloc attirent peu d’investisseurs. Les bâtiments conventuels des Dominicains, des Tiercelines, des Carmes, des Sœurs grises et des Annonciades célestes sont certes vendus de 1791 à 1794, mais les ventes sont ensuite suspendues avant de reprendre sous le Directoire, qui liquide tardivement et à bas prix[36] les couvents des Minimes de Bonsecours, des Bénédictines du Saint-Sacrement, des Tiercelins, des Grandes Carmélites et des Bénédictins de Saint-Léopold de 1796 à 1798. A ces problèmes pratiques s’ajoutent des prescriptions d’ordre idéologique : dans les premiers temps, la loi demande que les biens de première origine soient vendus en bloc, puis à partir de l’été 1792 les biens de seconde origine sont divisés pour permettre l’accès des plus modestes au foncier. Le glissement à gauche conduit à morceler systématiquement l’ensemble des biens à partir de novembre 1793. Cette politique converge avec les vues des particuliers désireux d’acquérir des sections de couvents transformables en autant de places à bâtir ; au cours de l’année 1792, affluent de semblables demandes de ventes par lots pour les couvents des Cordeliers, des Sœurs grises ou des Capucins. C’est le cas de Sigisbert César Barthélémy, qui demande en septembre 1792 une maison tenante à l’église des Sœurs grises, précisant que « le surplus du couvent sera à diviser par sections »[37].



Dans ce contexte, la vente par lots est généralement privilégiée. Mandaté comme ses confrères à cette tâche par l’administration, l’architecte Miroménil justifie son « plan de division [du couvent des Augustins], qui en donnant des maisons bourgeoises commodes, offre un moyen de vendre plus avantageux que si on vendait en gros »[38]. Les architectes multiplient les plans de lotissement qui sont autant de témoignages sur l’état des bâtiments au moment de leur désaffection, plans qui parfois sont scrupuleusement appliqués (Sœurs grises[39], Carmes[40], Dominicains[41]), et qui dans d’autres cas restent lettre morte, soit par mévente du bien (Cordeliers[42], Capucins[43]), soit suite à une vente en bloc (Chanoinesses et Minimes de Bonsecours[44], Bénédictins de Saint-Léopold[45], Tiercelines[46] et Tiercelins[47]…). Peu accessibles car en retrait des voies de circulation, souvent enclavés derrière un rideau de maisons, les couvents urbains ne peuvent être lotis sans subir de lourdes démolitions. Il est proposé de raser l’église des Cordeliers pour créer une voie de desserte susceptible d’aérer la ville[48], de démolir l’église de Bonsecours pour rendre l’emprise de ses contreforts à la voie publique (Jérôme, 1934, 148-150, 160), et de supprimer le chœur de l’abbatiale des Bénédictins pour exhumer une rue du plan de Charles III altéré par les religieux[49]. Pour obvier tout problème ultérieur de mitoyenneté, des dispositions drastiques sont prévues par les architectes : construction de murs de clôture, murement d’ouvertures, séparation des greniers jusqu’au toit… L’aliénation est ainsi mise au service d’un projet urbanistique de redistribution foncière au profit des particuliers comme de l’espace public, dont l’intensité se mesure par l’insistance avec laquelle les municipalités, à Nancy comme à Metz (Lesprand, 1934, 123)[50] , souhaitent percer des voies de communication à travers les emprises monastiques.



La stratégie révolutionnaire d’aliénation des biens du clergé régulier, si elle apparaît d’abord empirique, résultant d’un dialogue parfois confus entre l’État, le département et la municipalité, se révèle rapidement d’une efficacité redoutable. Cette mutation foncière de grande ampleur rebat les cartes de l’appropriation de l’espace. Jusqu’ici figés dans le temps comme dans l’espace, thésaurisés par des siècles de pieuses donations et de patients achats, les biens ecclésiastiques changent de mains en quelques années. D’abord vendus en bloc pour satisfaire gros fermiers et bourgeois impatients d’inscrire dans la terre leur réussite sociale, les biens sont rapidement divisés au bénéfice d’un public plus populaire, car comme le déclare Barrère « la Révolution ainsi consolidée par l’intérêt d’une foule de petits propriétaires sera inébranlable » (Bodinier, Teyssier, 2000, p. 392). Ainsi privatisés, ou restés par nécessité ou contingence dans le domaine public, les monastères de Nancy n’en sont pas moins désaffectés, dans l’attente d’un nouvel usage qui redéfinira leur place dans la ville…



 



III. USAGES A L’EPOQUE REVOLUTIONNAIRE



La désaffection d’un local, même provisoirement en l’attente d’une cession, entraîne d’inévitables dégradations, d’autant plus fortes dans le contexte troublé révolutionnaire[51]. L’état du couvent des Cordeliers dressé en 1808 n’est qu’un long inventaire de dégradations : portes, fenêtres, serrures, tout est volé ou détruit. Celui des Capucins, investi au début du XIXe siècle par « environ 80 ménages […], ne présentait plus […] qu’une horrible dévastation. Des murs décrépis et couverts de saletés, des portes brisées, les croisées sans vitrage et les châssis demi-pourris annonçaient une ruine prochaine, des pavés mis en pièces ; le plancher des corridors, celui des appartements, et les degrés des escaliers perdus sous la quantité des ordures dont ils étaient encombrés au point que les rampes n’offraient plus qu’une pente uniforme où il était impossible de remarquer le moindre indice des marches »[52]. Ces situations s’expliquent par le fait que, comme les Cordeliers et les Capucins, plus de la moitié des monastères de Nancy ne sont pas vendus, l’État préférant les utiliser pour répondre à ses propres besoins, qui se déclinent en quatre catégories.



Le premier utilisateur public est l’armée, alors en pleine mutation avec le début des guerres révolutionnaires et l’instauration de la conscription ; elle a besoin en urgence de casernes, d’hôpitaux militaires, et de magasins pour ses fournitures. Or les monastères nationalisés sont facilement adaptables à ces nouvelles affectations, comme le remarque l’architecte Poirot à la recherche de locaux pour installer un hôpital militaire : « les premier et second étages des maisons religieuses n’offrent communément que des cloisons de bois dont la suppression produiront [sur] le champ des grandes salles »[53]. Dès 1791, on fait le projet d’installer une caserne aux Minimes, dont l’église aurait été transformée en écurie ; puis on y installe une ambulance en 1795. Au début de cette même année, la Direction des subsistances militaires, qui stockait déjà du fourrage aux Cordeliers, fait faire un « état des bâtiments nationaux affectés au service des fourrages de la place de Nancy ». Les couvents des Capucins, des Petites carmélites, des Prémontrés, des Dames du Saint-Sacrement et des religieuses de Notre-Dame sont retenus, tandis que sont exclus les bâtiments des Tiercelins, décrits comme « très petits, humides et difficiles pour les rentrées »[54]. A la même époque, l’église des Minimes de Bonsecours est remplie de « laines et marchandises destinées à l’usage des trouppes de la République », tandis que les Capucins sont utilisés « pour l’abbatis et salaison des porcs destinés aux armées »[55]. Vu l’enjeu décisif des guerres révolutionnaires, rien de surprenant à ce qu’autant de monastères soient mobilisés temporairement pour les besoins militaires.



Après les ennemis de l’extérieur combattus par l’armée, viennent les ennemis de l’intérieur pour lesquels des prisons sont ouvertes. La logique de grand renfermement initiée au XVIIIe siècle avait déjà mené à une confusion entre maison de réclusion et monastère. Le monastère du Refuge, qui accueillait les prostituées repenties, poursuit sa vocation à l’époque révolutionnaire. C’est donc avec une certaine forme de continuité que les divers proscrits de la République sont entassés dans les couvents transformés en prisons (fig.4 et 5). On écroue dès le début de l’année 1793 les prêtres réfractaires aux Tiercelins et aux Dames prêcheresses, qui passe pour la prison la plus malsaine de Nancy. Semblable affectation est donnée quelques temps aux monastères des Annonciades, des Grandes Carmélites, et des Cordeliers où l’on concentre les suspects malades ou infirmes sous la Terreur.





Figure 5



Maison du refuge, rue des Quatre-églises. Initialement conçu pour réhabiliter des prostituées repenties, ce couvent est transformé sans difficulté en prison à l’époque révolutionnaire. Il est ensuite réutilisé par les sœurs de Saint-Charles à des fins hospitalières. Etat en novembre 2018



 



 





Figure 6



Aile subsistante du couvent des Grandes carmélites, rue des Quatre-églises. Derrière cette façade en bon état de conservation, s’élevait autrefois une église baroque à l’architecture remarquable. Etat en novembre 2018



 



Plus durable est l’affectation au service de l’instruction publique. La décision de création d’un Lycée dans les couvents des Minimes et de la Visitation, réunis par la suppression de la rue qui les sépare, est prise le 6 avril 1803. Le couvent des Cordeliers accueille les Frères des écoles chrétiennes de 1821 à 1830 ; puis l’Ecole normale de la Meurthe (1831), l’Ecole supérieure de filles (1869-1883) et enfin l’Ecole Drouot (1884-1973) ; la vocation pédagogique n’a pas quitté ce bâtiment devenu depuis 1973 une annexe du Musée Historique Lorrain (Rozé, 1998, 46-48). Le couvent des Tiercelins connaît une histoire analogue : vendu comme bien national en 1797, il passe en 1804 aux mains d’un ancien Jésuite qui y loge un pensionnat ; dix ans plus tard, les Visitandines y installent brièvement leur propre pensionnat, tandis qu’en 1847 l’abbé Harmand y organise une maison d’apprentissage destinée pour enfants défavorisés (Girard, 1890, 211-241). Aujourd’hui, ce qu’il reste du couvent, largement reconstruit, abrite le Lycée Sainte-Elisabeth. Dans chacun des cas, la mise à disposition de vastes emprises religieuses en centre-ville a permis l’essor d’institutions éducatives et culturelles ayant marqué le paysage urbain jusqu’à nos jours, à Nancy comme à Metz[56].



 





Figure 7



Porte de la chapelle de la Visitation. Construite durant la dernière décennie de l’Ancien Régime, elle marque l’angle des rues Poincaré et de la Visitation par son style néoclassique épuré. Etat en novembre 2018



Enfin, plusieurs édifices conservent provisoirement leur vocation spirituelle, la disponibilité des biens conventuels permettant un redéploiement de la carte paroissiale pour correspondre aux besoins de la nouvelle Eglise constitutionnelle. Après avoir servi de lieu de réunion pour les prêtres insermentés, le couvent des Tiercelins est réquisitionné par l’évêque Lalande pour y installer le séminaire de l’Eglise constitutionnelle en remplacement de l’hôtel des Missions royales trop éloigné de la cathédrale. L’église des Cordeliers est affectée par intermittence au culte, en remplacement de l’église paroissiale Saint-Epvre tombant en ruines, en 1792, 1805 et 1825[57]. Quant à l’église des Capucins, qui avait hébergé la paroisse Saint-Nicolas de sa création en 1731, jusqu’en 1770 où elle s’était déplacée dans l’église voisine du noviciat des Jésuites, elle redevient le siège de cette paroisse en 1802. Après la chute de l’Eglise constitutionnelle et les campagnes de déchristianisation de la Terreur et du Directoire, le Concordat bonapartiste provoque le retour de quelques congrégations autorisées dans d’anciens monastères désaffectés : les sœurs de la Doctrine Chrétienne s’installent au couvent des Capucins en décembre 1803, qu’elles remettent en état grâce à des quêtes diocésaines ; puis elles achètent l’église voisine des Capucins en 1883, qu’elles abattent immédiatement pour édifier des salles d’externat. Les Visitandines, ne pouvant récupérer leur ancienne maison attribuée au Lycée, achètent le couvent des Tiercelins en 1813, qu’elles quittent dès 1816 pour investir l’ancienne abbaye bénédictine Saint-Léopold, dont elles font démolir en 1822 la remarquable église abbatiale (Lionnois, III, 1811, 10)[58] jugée trop froide. L’église des Prémontrés passe quant à elle au culte protestant, tandis que la Charteuse de Bosserville, redevenue dès 1835 lieu de spiritualité monastique, accueille le Grand séminaire après 1905, pour être enfin transformée en établissement diocésain d’enseignement professionnel jusqu’à nos jours.



Les biens n’ayant pas reçu d’affectation publique durable sont privatisés ; ce sont près de la moitié des couvents de Nancy qui sont vendus entre 1791 et 1798. Outre la motivation financière, le développement du commerce et l’industrie est l’une des motivations les plus explicites de l’aliénation des monastères. Dans son expertise du couvent de Bonsecours, l’architecte Poirot précise que cette maison est « propre à recevoir une manufacture »[59]. Plusieurs couvents de Nancy sont utilisés précocement à de telles fins. Dès 1792, les administrateurs du District constatent qu’une chambre du rez-de-chaussée des Capucins est utilisée sans autorisation par deux femmes en tant que « manufacture de dentelle » où elles emploient « quantité de petites filles »[60]. Plus légalement, le couvent des Tiercelins abrite une filature de coton avant 1804[61], la maison des Sœurs de Notre-Dame est transformée en hôtellerie, tandis que l’église des Cordeliers est louée à un cafetier en 1801, puis à un « entrepreneur en chauffage militaire »[62]. L’imprimeur Haener devient un spécialiste de ce genre d’opérations immobilières : il achète, pour y placer des manufactures, le couvent des Dominicains, ainsi qu’une partie de ceux des Sœurs grises et des Bénédictins de Saint-Léopold. Dans ce dernier, il entreprend une fabrique de poêles en faïence, qu’il déplace ensuite au couvent des Grandes Carmélites. Mais de telles affectations en milieu urbain créent des nuisances inévitables vu la densité du bâti : lorsque la ville loue le couvent des Cordeliers en septembre 1809 à une fabrique de draps, elle récolte les plaintes d’une riveraine qui exige que soient murées des fenêtres donnant sur sa propriété, car « [ses devanciers] ont permis […] de prendre des jours sur sa maison mais c’est aux Cordelliers qu’ils l’ont permis, non pas pour une fabrique »[63]. De telles transformations, qu’on observe aussi bien à Autrey, Etival, Moyenmoutier, ou Senones…, accompagnent une première industrialisation jaillissant dans un monde encore dominé par l’économie rurale.



Mais l’affectation industrielle ne durant le plus souvent qu’un temps, les monastères aliénés finissent le plus souvent par être démolis pour être remplacés par des immeubles de rapport dans le courant du XIXe siècle. Comme exemple de ce palimpseste urbain, le couvent des Tiercelines conserve encore, à l’abri des regards, quelques arcades de son cloître, enchâssées parmi des immeubles d’habitation. Cette transformation du paysage est encore plus rapide hors des murs de Nancy, à Bonsecours, Clairlieu ou Bouxières-aux-Dames, qui tombent sous la pioche des démolisseurs ; seuls Maréville et Bosserville sont épargnés, non sans subir de sérieux dégâts[64]. Rares sont les bâtiments monastiques ruraux épargnés par les revendeurs de matériaux, les acquéreurs ne souhaitant s’encombrer de bâtiments coûteux à entretenir, et inutiles du point de vue agricole. En devenant des fermes, ces anciens monastères s’effacent comme points de repère du paysage, mais leur mémoire n’en demeure pas moins dans la toponymie des cartes. Semblables situations s’observent dans toute la Lorraine, à Beaupré, Belchamp, Chaumousey, Hérival, Sainte-Marie-aux-Bois, Saint-Pierremont, Haute-Seille, Domèvre-sur Vezouze, Vergaville, Salival…, autant d’abbayes rurales où ne sont épargnés que quelques engrangements agricoles, pigeonniers ou logis abbatiaux conservés par les nouveaux propriétaires pour leur usage personnel.



 



   



Fig. 8 et 9



Derniers vestiges de l'église abbatiale des Bénédictins, rue des Ponts



 



 





Fig. 10



Derniers vestiges du cloître des Tiercelines, rue des Quatre-églises. La sécularisation du XIXe siècle efface jusqu'à la mémoire des édifices conventuels disparus, dont il ne reste que de maigres traces tombées dans l'oubli. Etat en novembre 2018.



Si les édifices monastiques de Nancy deviennent d’abord des lieux publics, surtout au début de la Révolution, une bonne moitié est finalement privatisée. Cette aliénation des monastères n’est-elle pas le reflet du triomphe idéologique de la bourgeoisie conquérante ? C’est ce que laisse supposer Lepage en 1838 : « A l’époque de la Révolution, des églises et des maisons religieuses occupaient des quartiers tout entiers ; elles ont été renversées pour la plupart, et la ville n’a conservé que celles qui sont nécessaires au nombre de ses habitants » ; aussi « la première Révolution [fut pour Nancy] l’aurore d’un nouveau jour. Les monastères rendirent au monde les reclus qu’on y tenait enfermés, et sur leurs débris s’élevèrent des constructions utiles. Les cloîtres se changèrent en ateliers, et le peuple put, par son travail, gagner du pain pour lui et sa famille. Des magasins, des manufactures s’établirent à leur place ; des comptoirs s’ouvrirent au commerce, et une vie nouvelle sembla commencer pour les habitants de la ville régénérée » (Lepage, 1838, 163-166).



 



En conclusion, la présence religieuse dans l’espace urbain nancéien est ressentie comme exceptionnellement dense par les contemporains de l’époque révolutionnaire. Cette logique d’implantation, relevant d’une stratégie de construction d’un État lorrain catholique face à l’influence protestante, a été fortement remise en cause dès le début du XVIIIe siècle. Les nouvelles fondations de maisons religieuses se font rares, tandis que les anciennes sont inquiétées par des règlements d’urbanisme contraignants. Cette irruption dans l’espace nancéien des principes des Lumières, constante de Léopold à Stanislas, s’accompagne d’un recul de la place des religieux dans le paysage urbain. De plus en plus contestés par l’opinion publique, les religieux s’adaptent pour reconstruire leurs bâtiments dans un souci d’ouverture sur le monde[65] : à la fin du siècle, les Sœurs Grises inversent l’orientation de leur église pour ouvrir un nouveau portail sur la rue des Dominicains (1764), les Visitandines construisent une chapelle ostentatoire que n’auraient pas reniée Boullée et Ledoux (1780-1783), tandis que les Chanoinesses de Bouxières-aux-Dames engagent à Bonsecours d’immenses travaux, interrompus par la Révolution, pour se rapprocher de la ville (1786-1789)[66].



Cette convergence de vues montre que les religieux ne sont que le reflet de leur temps. C’est sans doute ce qui explique que, malgré une présence religieuse ayant pu être perçue comme excessive, il n’y a pas à Nancy davantage qu’ailleurs d’excès de destruction. Comme partout (Bour,1939, 159)[67], les couvents sont d’abord réquisitionnés par l’armée, les impératifs des guerres révolutionnaires prenant le pas sur toute autre considération d’ordre idéologique. L’évolution rapide du contexte, avec l’effondrement de l’Eglise constitutionnelle et l’éloignement de la menace extérieure aux frontières, permet de vendre, tardivement mais définitivement, la moitié des monastères nancéiens… si bien que le XIXsiècle est responsable du plus gros des destructions que l’on impute abusivement à la Révolution. Pour ne citer qu’un exemple parmi les plus regrettables, la chapelle des Petites Carmélites de Nancy n’est démolie qu’en 1888…



En somme, la Révolution a pensé davantage qu’elle n’a agi. Ses projets d’aliénation des biens monastiques au profit d’établissements publics, de lotissements ou de rues nouvelles, sont le plus souvent restés lettre morte faute de temps et de moyens. Mais les transformations initiées par la Révolution ont opéré sur le temps long, aboutissant à une profonde redistribution de l’espace urbain tout au long du XIXe siècle. Le retour, souvent éphémère, aux mains du clergé de quelques monastères sous l’Empire et la Restauration ne doit pas faire oublier l’essentiel : à la fonction spirituelle de la ville se sont substituées les fonctions productive, résidentielle et commerciale.



 



Bibliographie



 



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[1] Le chanoine régulier lorrain Cherrier prescrit aux religieuses de Notre-Dame une clôture qui les détermine à se recentrer sur l’accueil de pensionnaires de bonne famille ; alors même que de nouvelles congrégations féminines enseignantes non cloîtrées disposaient de la souplesse nécessaire pour ouvrir de petites écoles populaires en milieu rural.





[2] A Nancy, seuls les Capucins tirent l’intégralité de leur subsistance des aumônes qui leur sont faites. Tous les autres religieux, y compris les ordres mendiants, ont des terres ou des maisons louées, ou encore des rentes. Dans tous les cas, les religieux sont en contact avec le monde profane pour gérer cet aspect temporel indispensable à leur pérennité.





[3] Par exemple, « l’église des Tiercelines est dans une cour fermée d’un mur de clôture peu élevé, dans le milieu duquel est une porte fort simple sur la rue des Quatre Eglises », tandis que le monastère des Annonciades « est situé à l’extrémité de la ville, rue des Quatre Eglises, et n’en est séparé que par un mur de clôture de peu de hauteur. Au milieu de ce mur est une porte à deux battans fort simple […] » (Lionnois,t. III, p. 129 et 134).





[4] Ces maisons étaient en effet « remplies de soldats, pendant que les Français occupoient Nancy. Outre le désagrément d’être exposées à la vue de ces gens, les religieuses avoient encore celui d’en être volées perpétuellement. Ils venoient pendant la nuit prendre leurs grains, fourrager leur jardin [et] trouvèrent même le secret de leur enlever une chêvre et un veau ».





[5] Archives Départementales (par la suite AD) 54 : H 2877.





[6]  [6] AD 54 : 1 Q 873.





[7] AD 54 : 1 Q 592-1.





[8] AD 54 : H 1036.





[9] Les Grandes Carmélites disposent d’un « jardin assez vaste, ce qui procure aux religieuses un air pur et sain, y en ayant plusieurs qui jouissent d’une parfaite santé dans une extrême vieillesse ».





[10] Il s’agit de rues périphériques proches des remparts, desservant des jardins et de rares habitations.





[11] [11] Les Bénédictins enferment dans leur enclos à partir de 1615 une portion de la rue des Artisans et une autre de la rue Saint-Sébastien, transformant celles-ci en culs-de-sacs. Malgré une action en justice des bourgeois de Nancy, les religieux furent autorisés à murer ces rues par jugement en 1624.





[12] Convoitant la ruelle des Capucins, destinée à desservir le bastion d’Haraucourt, les religieux homonymes jettent d’abord un pont de bois par-dessus pour relier un jardin qu’ils ont acquis de l’autre côté. Ils sont condamnés en 1635 par le Conseil souverain à « oster les immondices de la rue […] et à démolir le pont de bois par eux construit sans permission » (Archives Départementales 54 : H 2800). Ils entrent ensuite en concurrence avec les religieuses du Refuge, elles-mêmes voisines de la ruelle et désireuses de l’annexer à leur seul profit. Après des procès aux résultats contradictoires dans les années 1630, les Capucins obtiennent la portion de ruelle tant convoitée, tandis que le surplus est récupéré par le noviciat des Jésuites mitoyen (MARTIN E., « Le couvent des Capucins de Nancy », dans Etudes franciscaines, 1939, p. 479-480). Malgré un acte de 1643 obligeant les Capucins à restituer la ruelle, ceux-ci réussissent à la conserver à la faveur des troubles politiques du XVIIe siècle.





[13] En 1627, les Minimes réclament en vain au gouverneur général de Nancy une portion de la rue des Artisans de 17 toises et demi sur 20 pieds de large, sous prétexte que « l’on y jecte toutes sortes d’immundices ». Ils réitèrent en 1631 et obtiennent du duc Charles IV cet emplacement, situé « entre la muraille du jardin de leur couvent audit lieu, et le jeu de Paulme jadis appelé de Jouan, et qui depuis a appartenu à Voirin de Nancy », au motif que cette rue n’est qu’« un lieu détourné, ne [servant] qu’à un réceptacle d’ordures, immondices et excrementz qu’on y fait et porter continuellement, engendrant non seule[ment] des senteurs et puanteurs mauvaises, mais aussy des exalations et vapeurs rasses et pouries qui infectent et vitient l’air principale[ment] en chaleurs estivales » ; cette annexion oblige les propriétaires d’un tripot voisin à murer leurs fenêtres donnant sur la ruelle en 1633. Ensuite, ayant acquis en 1649 une maison rue Notre-Dame « ayant entrée et sortie sur deux rues », les Minimes reprennent leurs manœuvres en revendiquant  dès 1650 la possession de la ruelle située entre l’arrière de cette maison et leur jardin, toujours au motif que la ruelle ne « sert que d’un lieu à ammasser toutes sortes d’immondices ». Constatant l’inutilité de la rue, déjà amputée précédemment, la ville accorde toute la ruelle aux religieux, transformant définitivement la rue des Artisans en cul-de-sac des Minimes. Archives Départementales 54 : H 1038 et H 1045.





[14] AD 54 : H 2836.





[15] L’ordonnance du duc Léopold de 1710 oblige « tous ceux qui avoient sur les grandes rues et avenues des terreins qui ne leur servoient à autre usage que pour des cours ou jardins, d’y faire construire des bâtimens de hauteur, profondeur et largeur convenables pour servir d’habitation aux bourgeois, et d’observer l’uniformité prescrite, ou de vendre ou ascenser lesdits terreins à prix juste et raisonnable à ceux qui se présenteroient pour faire lesdits bâtimens ».





[16] AD 54 : H 2877.





[17] On y trouve alors quatre imposants monastères féminins, bâtis autour du carrefour formé par la rue des Quatre-églises et la rue Charles III : les Tiercelines, les Annonciades célestes, les Grandes carmélites et le Refuge. Un plan d’époque révolutionnaire conserve la mémoire de l’implantation de ces quatre établissements dont seul celui du Refuge subsiste à ce jour : AD 54 : 1 Q 482.





[18] AD 54 : 1 Q 482-2.





[19] « Sur la rue des Prémontrés, toutes les maisons depuis le n° 96 jusqu’à 215, bâties sur le terrain des Minimes, ne sont que des culs-levés et de peu de largeur ».





[20] Les Minimes acensent une série de terrains pour y construire des maisons en 1604 à la condition qu’aucune fenêtre ne donnerait sur leurs jardins, que les eaux de toiture s’écouleraient vers la rue, et qu’elles ne puissent être cédées qu’à une personne « catholique et de bonne réputation ». AD 54 : H 1040.





[21] AD 54 : H 2876.





[22] Un plan de ces sept maisons est dressé à l’époque révolutionnaire. AD 54 : 1 Q 482-2.





[23] Deux plans de ces maisons subsistent. AD 54 : 1 Q 479-1.





[24] AD 54 : H 2836.





[25] Religieuses d’une congrégation active non astreinte à la clôture malgré les pressions de l’épiscopat, les Sœurs Grises de Sainte-Elisabeth édifient en 1680 et en 1710 de modestes maisons de rapport sur la rue des Dominicains pour remplacer le mur de leur cimetière. Une gravure de 1764 montre, avant la reconstruction de l’église conventuelle, une boutique adossée sur le chœur.





[26] Bail de 1783 passé avec Jean Ragon, marchand à Nancy, AD 54 : H 2842.





[27] Bail de 1787 passé avec Thuillier, maître ébéniste à Nancy, et reconduit en 1788, AD 54 : H 2842.





[28] Les mêmes principes conduisent en 1781 l’empereur Joseph II à supprimer les monastères contemplatifs de ses États.





[29] Chatrian L., 1790, Journal ecclésiastique du diocèse de Nancy, manuscrit, tome XII, p. 312 et suiv. Bibliothèque Diocésaine de Nancy, MC 81.





[30] AD 54 : 1 Q 660.





[31] AD 54 : 1 Q 659.





[32] Décision du 7 décembre 1791. AD 54 : 1 Q 346.





[33] AD 54 : 1 Q 347. C’est ce même Léopold Morot qui achète tout le couvent des Minimes de Bonsecours le 13 septembre 1796, l’église exceptée, malgré une tentative en 1798.





[34] AD 54 : 1 Q 347.





[35] AD 54 : 1 Q 347





[36] Les bâtiments vendus tardivement sont largement payables en titres papier considérablement dévalués.





[37] AD 54 : 1 Q 346.





[38] AD 54 : 1 Q 193.





[39] AD 54: 1 Q 596-1





[40] AD 54: 1 Q 482.





[41] AD 54: 1 Q 478.





[42] Plan du couvent des Cordeliers, 23 Frimaire an VII (1798). Bibliothèque du Musée Historique Lorrain.





[43] AD 54: Plan Moderne 431.





[44] AD 54: 1 Q 341 et 592.





[45] AD 54: 1 Q 595.





[46] AD 54: 1 Q 481-2.





[47]  Pour ce dernier, nous n’avons pas retrouvé de plan, mais une description si détaillée qu’il est possible de le reconstituer aisément. AD 54 : 1 Q 592-1





[48] En l’an II, le Département propose pour la première fois au District la démolition de l’église des Cordeliers, car « des raisons puissantes appuyent ce projet : la salubrité de l’air dans cette partie de la commune et la facilité des communications ; l’intérêt que pourra inspirer aux acquéreurs des sections, la proximité des promenades publiques ». AD 54 : 1 Q 193.





[49] Le projet de division du monastère des Bénédictins de Saint-Léopold, dressé le 11 juin 1798, prévoit de recréer l’ancienne rue des Artisans du plan de Charles III, transformée en cul de sac par les constructions des religieux. Ce plan est rendu caduc par la vente en bloc du couvent, puis par la construction du lycée Cyfflé à son emplacement en 1933.





[50]  A Metz, le plan municipal consistant à percer une rue dans les jardins des Bénédictins de Saint Vincent aboutit finalement en 1806 ; quant à l’ancien collège des Bénédictins de Saint Symphorien devenu inutile par son transfert dans les bâtiments réunis des Trinitaires et des Petits Carmes, la municipalité propose d’en « tirer un parti très avantageux, si l’on se détermine à percer au travers une rue qui ouvrira une nouvelle communication au centre de la ville ».





[51] Près de Briey, le prieur de l’abbaye de Saint-Pierremont, « menacé ainsi que ses religieux d’être pillés et volés », obtient en juin 1790 une patrouille de dix hommes pour protéger le monastère en attendant la dispersion de la communauté. Archives Nationales: D XIX/62.





[52] Extrait des « Entretiens » (début XIXe s), cités dans Maison-mère - Doctrine chrétienne – Nancy, Nancy, publication à usage interne, p. 21.





[53] AD 54 : 1 Q 193.





[54] AD 54 : 1 Q 341-2





[55] AD 54 : 1 Q 193.





[56] Les Trinitaires et les Petits Carmes de Metz, d’abord rachetés par la municipalité pour y installer un collège, sont ensuite convertis en musée.





[57] Archives Municipales de Nancy, (b) M2-1





[58] Pour Lionnois, cette église bâtie de 1701 à 1706 est « une des plus belles et des mieux proportionnées de Nancy ».





[59] AD 54 : 1 Q 339.





[60] AD 54 : 1 Q 660.





[61] Son église garde une vocation industrielle sur une longue durée puisque Pfister y situe encore une vinaigrerie au début du XXe siècle.





[62] Archives Municipales de Nancy (par la suite AMN), (b) M2-1.





[63] Les fenêtres sont maintenues en raison de leur aspect gothique prouvant leur ancienneté. AMN, (b) M2-1.





[64] Autour de l’église de Maréville sera rouvert un hôpital en 1805. Quant à la chartreuse de Bosserville, elle accueille successivement une manufacture de toiles imprimées puis une ambulance avant de devenir carrière de pierre ; l’émotion causée par les premières démolitions provoque une mobilisation des milieux catholiques qui organisent le retour des Chartreux en 1835.





[65] On le voit à Autrey lorsque les Chanoines réguliers démolissent le cloître médiéval pour reconstruire l’abbaye selon un plan en « U » ouvert sur le monde.





[66] AD 54 : H 2956.





[67] A Metz, la situation est comparable puisque sept des treize monastères d’hommes répertoriés par Lesprand furent réquisitionnés pour l’armée (Saint-Louis du Fort, Saint Vincent, Saint Clément, Augustins, Grands Carmes, Capucins, Récollets). Même constat peut se faire dans les petites villes : les couvents des Capucins de Phalsbourg, Sarrebourg et Blâmont sont respectivement réutilisés comme hôpital militaire, prison, et siège de l’administration du District



 




 


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