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N° 13 novembre 2018 : La géographie d'un événement aux répercussions mondiales - la Révolution française:

Editorial : La géographie d'un événement aux répercussions mondiales - la Révolution française

Nicola Todorov


 



Même si elle s’inscrit dans un contexte révolutionnaire que l’on a appelé la Révolution atlantique, initiée par les mouvements d’émancipation de certaines colonies britanniques d’Amérique du Nord, la Révolution française par l’ampleur des bouleversements politiques et sociaux provoqués en France aussi bien que par l’ampleur des retombées qu’elle a eues sur d’autres pays a été certainement un événement singulier. Elle a certainement constitué une rupture profonde dans  nombre de domaines, comme celui du politique et du social, en dépit des lignes de continuités qui ont été soulignées par certains auteurs. Ne fut-elle cependant qu’un épisode d’enthousiasme et d’élan visant à créer une société nouvelle et meilleure, amplifiée par le discours idéologique, qui, une fois la paix revenue en 1815, aurait laissé les hommes désenchantés ? Les articles rassemblés dans ce numéro nous semblent démontrer plutôt le contraire.



En France, elle détruit d’abord l’ancienne société d’ordre. Par la vente des biens nationaux de première et seconde origine, que certains ont qualifié d’événement le plus important de la Révolution, les révolutionnaires s’assurent une assise sociale d'individus et de groupes attachés aux acquis des politiques révolutionnaires. Dans son article, Cédric Andriot montre bien qu’un pan entier de la société, minoritaire, mais officiellement appartenant au premier ordre, a été transmuté, celui des réguliers. Surtout dans une région marquée par la reconquête catholique après la Réforme protestante – la dorsale catholique – l’emprise spatiale du clergé, notamment régulier dans une ville comme Nancy était particulièrement importante. Si les réguliers s’adaptent déjà avant la Révolution aux demandes d’ouverture de la société urbaine, la Révolution provoque un profond changement des usages des bâtiments, alors que des destructions sont peu importantes et beaucoup plus le fait du siècle de l’industrialisation.



Mais, comme on le sait, la Révolution déborde sur les frontières de la France et provoque des migrations, des circulations d’une nouvelle ampleur : d’abord, l’émigration de ceux qui sont hostiles à la Révolution ou qui se croient, à tort ou à raison, menacés par cette irruption du peuple dans la sphère politique ; ensuite par le déferlement des armées françaises victorieuses sur d’autres pays. Comme le montre Elisa Baccini à l’exemple de la correspondance de Jacques Boucher de Perthes, les administrateurs envoyés dans les pays conquis établissement un contact d’une plus grande intensité avec les populations étrangères que les voyageurs du Grand Tour et acquièrent, sans doute par leur séjour plus long, une perception plus fine des mœurs et des pratiques de ces populations. Son article nous livre des informations précieuses sur la géographie linguistique de l’Italie à l’époque de la domination française, notamment sur les pratiques orales, qui ne sont souvent que difficile à saisir à travers les sources écrites. La Révolution induit donc des circulations d’hommes qui modifient profondément les représentations que l’on se fait de l’autre.



Mais la Révolution fut bien un événement à portée mondiale, car les Européens, depuis les Grandes Découvertes avaient acquis une emprise sur d’autres continents et notamment l’Amérique. La présence de puissances coloniales concurrentes fait apparaître des angles morts, des espaces périphériques des empires, qui s’avèrent particulièrement réceptifs aux idées révolutionnaires, telle la Louisiane espagnole étudiée par Soizic Croguennec. Comme en Espagne et d’autres pays d’Europe, avant la conquête napoléonienne, les gouvernements mettent en place une censure renforcée pour empêcher la contagion révolutionnaire, ici par le moyen de l’Inquisition. Le choix de l’appartenance à telle ou telle souveraineté peut refléter un positionnement politique conscient envers l’événement révolutionnaire fondateur. Ainsi, malgré la paix entre la France et l’Espagne, se déclarer sujet du roi d’Espagne peut être vu comme le fruit d’une attitude contre-révolutionnaire.



Mais ces circulations se répercutent sur l’évolution même de la science géographique. Cela est illustré par les deux articles suivants. Les bouleversements de la période révolutionnaire au sens large (1789-1815) ont influencé et structuré la pensée de la science géographique, soit par la confrontation de visions, soit par la nécessité de s’approprier ou de réapproprier l’espace.



Dans la mesure où la politique d’expéditions d’exploration du XVIIIe siècle est poursuivie à l’époque révolutionnaire, la compétition entre pays européens pour la cartographie et l’appropriation des territoires s’entend à des espaces encore incomplètement dominés, comme l’Australie et plus généralement l’espace océanique indo-pacifique, comme le montre Dany Bréelle. Les conceptions universalistes des Lumières apparaissent ici à côté d’une conception plus nationale de la géographie, tout en mettant au point une nouvelle approche zonale et multiscalaire de l’espace océanique. Les géographes français ont légué à l’Australie un grand nombre de toponymes français sur une partie de ses côtes.



Enfin, les bouleversements de la période semblent aussi introduire la géographie dans les savoirs des écoles élémentaires, mais d’une manière spatialement très inégale, ce qui peut être dû aux effets particuliers de l’occupation française, notamment en Allemagne ou à des héritages plus anciens, liés aux inégales progrès de l’alphabétisation, comme le montre Nicola Todorov.


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