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N°10-11 mai 2017 : Géographie historique et guerres:

Gustave-Léon Niox (1840-1921), historien et géographe militaire De l’expédition du Mexique aux Invalides

JeanNoël Grandhomme


Par Jean-Noël Grandhomme (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine à Nancy, Membre du Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire (CRULH)



Souvent mentionné au détour d’une phrase dans les ouvrages consacrés à la géographie française du dernier quart du XIXe siècle et du début du XXe, le général Niox ne fait en général l’objet que de très peu de développements (1). Il reste un quasi-inconnu. Or, personnage à plusieurs facettes, qui eut son heure de gloire et fit école, il n’est pas seulement un géographe, mais un historien, un administrateur, un « communiquant » avant la lettre, et surtout il a été, ou aurait voulu être, un militaire à part entière. Les ouvrages scientifiques, l’enseignement et les activités patrimoniales ne sont arrivées pour lui, en quelque sorte, que par accident.



 



I. Une carrière très tôt marquée par le handicap



Né à Provins le 2 août 1840, Gustave Léon Niox (2) entre au Prytanée de La Flèche en 1851, puis à Saint-Cyr en novembre 1856 (à seize ans, par faveur spéciale de Napoléon III, en raison de la mort en Crimée de son père, le lieutenant-colonel Niox). Classé au 6e rang des 298 élèves de la promotion « de Djurjurah » en octobre 1858, il est affecté comme sous-lieutenant au 10e d’infanterie à Strasbourg. À partir de janvier 1859 il suit les cours de l’école d’état-major, dont il sort 2e sur 19. Admis dans le corps d’état-major avec le grade de lieutenant en janvier 1861, il commence son stage par le 66e de ligne à Lyon, avant de poursuivre aux zouaves de la Garde à Versailles. En 1862 il rédige une première étude, remarquée, des fortifications de Kehl (Bade) et une autre sur les conditions de campement d’une division dans le fort de Bicêtre. Nommé au 2e chasseurs d’Afrique à Oran en février 1863, il part avec régiment pour le Mexique (3).



Promu capitaine en septembre, il participe en février 1865 au siège d’Oaxaca - où le général Bazaine obtient la capitulation des 6 000 hommes du général Porfirio Díaz -, puis il est versé au service topographique de l’état-major général du corps expéditionnaire. De retour en France en mai, il est muté en septembre à la section historique du dépôt de la Guerre, chargé de l’Historique de l’expédition. Reconnu comme un officier des plus méritants, instruits et intelligents, il est cependant handicapé par une surdité qui s’est déclarée vers l’âge de vingt ans, s’est fortement aggravée au Mexique avant de se stabiliser, mais en le rendant dès 1869 impropre au service de guerre.



Néanmoins, en juillet 1870, Niox passe à l’état-major de la 4e division du 6e corps (maréchal Certain-Canrobert) à l’armée du Rhin. Après les désastres de la campagne d’Alsace – en particulier celui de Froeschwiller le 6 août -, l’armée du Rhin est scindée en deux. Le maréchal Bazaine, qui en prend le commandement le 12, dispose des forces destinées à combattre sous Metz (dont le 6e corps). Dans ce contexte Niox assiste aux batailles de Rezonville le 16 août et de Saint-Privat le 18, ainsi qu’aux différents combats d’avant-postes. Fait prisonnier au moment de la capitulation de Metz, le 29 octobre, il est interné à Brême, mais retrouve la France dès le 15 mars 1871 grâce à un sauf-conduit délivré par les autorités allemandes à la suite de l’entrée en vigueur de l’armistice.



Placé en disponibilité ce même jour, il se présente par la suite plusieurs fois, en vain, au ministère de la Guerre à Versailles pour obtenir un emploi à l’armée de Paris, chargée de la répression de la Commune. Finalement intégré en avril à l’état-major de la 14e division militaire à Bordeaux, il passe en juillet au service des bibliothèques et des archives à l’état-major général du ministre. Capitaine de 1re classe en août, il « aurait un avenir brillant si sa surdité ne devait y mettre un certain obstacle », constate son supérieur en 1872.



Deux ans plus tard paraît son histoire de l’expédition du Mexique, dans laquelle il a choisi à dessein de s’en tenir à un récit factuel, comme il l’explique dans son avant-propos, daté du 7 juin 1874 : « Sept années à peine se sont écoulées (…), mais elles ont été si remplies que l’on croirait être déjà beaucoup plus éloigné de cette époque. Avant que les péripéties d’un temps aussi troublé que le nôtre nous aient emporté plus loin encore, il a paru opportun de publier, sinon une étude critique, du moins un récit d’ensemble de cette campagne, afin de fixer les faits dont il conviendra de rechercher plus tard le sens et la portée. » (4) Il s’agit d’un ouvrage historique au sens strict, chronologique, où Niox fait assez peu intervenir les considérations de géographie, physique notamment, auquel il fait appel dans d’autres ouvrages.



 



II. Un géographe de terrain



Muté à l’état-major général du 18e corps à Bordeaux en janvier 1875, il est nommé en mars professeur de cosmographie, de géographie physique et de stratégie à l’école d’application d’état-major. Comme il sait « éveiller et soutenir l’attention et l’intérêt de ses auditeurs » et « fait de fréquentes excursions dans le domaine de la stratégie », il est aussi provisoirement chargé de la géographie aux cours spéciaux d’enseignement militaire supérieur en mai 1876. Parallèlement, « en récompense des services qu’il a rendus au Congrès international de géographie de Paris », il a reçu en novembre 1875 une mention honorable de la Société de géographie.



Au printemps de 1876 il inaugure une série de voyages d’études par une visite du Sud-Est, qu’il prolonge par celles du Centre et du Sud-Ouest, entre Bourges et Bordeaux, en juillet 1877 ; puis de la frontière des Pyrénées jusqu’à Pampelune et Tolosa, en septembre. Niox participe à tous les travaux extérieurs de l’école et remplit les fonctions de chef d’état-major au cours du voyage d’état-major du printemps de 1878. « Le savoir et le talent d’exposition de monsieur le capitaine Niox ont encore grandi depuis la dernière inspection générale », note le 20 octobre 1877 le général Castelnau, ancien aide de camp de Napoléon III.



En juin 1878, alors que les cours spéciaux d’enseignement militaire supérieur deviennent l’école militaire supérieure, il parcourt d’abord la Bretagne, puis la frontière des Vosges et le cours du Rhin entre Belfort et Mayence. En septembre il remonte le fleuve jusqu’aux Pays-Bas, visitant notamment le Luxembourg et Coblence. Professeur en titre en janvier 1879, il est promu chef d’escadron en avril, peu avant d’effectuer un séjour d’un mois sur les frontières du Jura et des Alpes, puis en Suisse, en Italie (Plaisance, Bologne et Gênes) et enfin en Bavière. Ces reconnaissances sont destinées à recueillir sur les lieux mêmes les renseignements utiles au cours qu’il professe. Le 20 mars 1880 il passe avec son grade dans l’arme de l’infanterie en application de la loi du même jour, qui supprime le corps d’état-major et transforme l’école militaire supérieure en école supérieure de Guerre. En juin il effectue comme les années précédentes un voyage d’études d’un mois : cette fois encore en Italie du Nord, puis sur les frontières austro-italienne et austro-russe (cette dernière très peu connue des Français).



Niox enseigne également à partir de 1880 à l’école libre des Sciences-politiques. Le directeur, Émile Boutmy, et le conseil de perfectionnement de ce symbole du redressement intellectuel de la France après la défaite estiment en effet utile « de faire entendre la note militaire dans ce milieu où l’enseignement très élevé ne porte que sur des questions de finances, de droit et d’histoire ». Sous le titre assez vague de : Géographie et organisation militaire, les cours de Niox comprennent l’exposé des principes de l’organisation des armées et l’étude sommaire de l’état militaire des puissances étrangères. Ils sont fréquentés notamment par de hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, qui viennent y chercher, affirme leur professeur, « des opinions et des enseignements qu’ils ne trouvent pas dans leur milieu habituel ». Niox enseigne à titre bénévole et officieux (quasi confidentiel même car, sur ordre du ministre de la Guerre, ses cours ne figurent pas dans le programme officiel de l’établissement).



Autorisé en juin 1881 à se rendre à Constantinople par Belgrade et Bucarest, il revient par la mer, avec escales à Gallipoli, Salonique, Athènes et Messine. Le ministre lui interdit en revanche d’étudier le nouveau tracé de la frontière gréco-turque. L’année suivante Niox entreprend, cette fois en compagnie du lieutenant Étienne de Villaret (5), deux voyages d’études en Algérie (printemps et automne). En parallèle, il continue d’enseigner, et avec talent, comme le montre, en 1883, l’appréciation de la commission des examens de l’école de Guerre, « frappée des connaissances étendues en géographie dont les officiers-élèves ont fait preuve ». Niox a « fait faire un grand pas à cette science envisagée dans ses rapports avec la stratégie et la défense des États » (notes de 1885).



 



III. Le grand œuvre de Niox



Niox est en effet l’auteur d’une monumentale Géographie militaire en plusieurs volumes au gré desquels il examine les différents pays d’Europe et leurs empires coloniaux. « Depuis quelque temps les études géographiques ont repris faveur en France, se réjouit-il dans l’avant-propos de l’ouvrage qu’il consacre en 1878 à la France. À cette œuvre commune je viens apporter ma modeste part d’efforts. Parmi les causes les plus sérieuses de ce progrès réalisé, non seulement dans l’enseignement, mais aussi dans les habitudes mondaines, il faut placer la vulgarisation des cartes, surtout des cartes topographiques, et la facilité donnée aux voyages par la multiplication des chemins de fer. Dans ces dernières années les grands États de l’Europe ont achevé leurs cartes d’état-major (…). On s’est familiarisé avec leur lecture, on s’est accoutumé à les consulter, on en a étudié de plus près les formes du terrain, en un mot, on a mieux compris et l’on a mieux apprécié l’intérêt de la géographie. » (6)



Au début de la plupart des volumes qu’il publie, Niox affirme, puis répète sans cesse « que pour établir la science géographique sur des fondements solides et pour en assurer le développement normal, il (faut) lui donner pour base l’étude des grandes formations géologiques ». « Cette méthode nouvelle, constate-t-il dans le volume qu’il consacre à l’Allemagne en mai 1885 (réédition de celui de 1881, avec un nouvel avant-propos), après avoir eu à triompher d’anciennes habitudes et de certains préjugés, est généralement acceptée aujourd’hui. Réalisée d’abord dans l’enseignement militaire supérieur, la réforme pénètre peu à peu dans l’enseignement secondaire, et il n’est plus maintenant une géographie, ni un atlas, même élémentaire, qui ne réserve à la géologie la part qui lui appartient. Il s’agit maintenant de conserver le terrain conquis en se défendant de toute exagération qui tournerait à l’esprit de système. » (6) La manière dont Niox aborde la géographie de l’Allemagne illustre parfaitement cette méthode. Il commence par une esquisse géologique de l’Europe centrale, avant de se concentrer sur l’Empire allemand, puis sur ses « races » et ses langues. Suit une étude de détail selon un découpage régional : Pays de la rive gauche du Rhin, Allemagne du Sud et Allemagne centrale, Allemagne du Nord (versant de la mer du Nord et versant de la mer Baltique) ; et enfin une présentation de l’organisation politique et militaire du pays. Le même volume traite des Pays-Bas, du Danemark et des frontières occidentales de la Russie.



« La Russie, affirme Niox, protégée par son éloignement et par la difficulté des communications, ne saurait être vaincue ; les désastres de 1708 [Charles XII de Suède] et de 1812 [Napoléon] resteront sans doute des exemples qui inspireront une grande circonspection à ses adversaires. D’autre part, ayant laissé grandir à ses frontières la grande puissance militaire de l’Allemagne, elle ne peut plus espérer jouer en Europe le rôle prépondérant qui lui a appartenu au commencement du siècle. L’unité germanique, en se constituant, a opposé à l’influence slave une barrière difficile à renverser. La conséquence de ce nouvel équilibre européen sera, probablement, de rejeter, de plus en plus, vers l’Orient la force d’expansion de la race slave, et, d’autre part, d’amener l’Empire russe à rechercher dans l’occident de l’Europe des appuis qui lui permettent de contrebalancer, au besoin, l’alliance austro-allemande. » (8) Les vues de Niox sont assez justes comme l’avenir le prouvera (alliance franco-russe), même si ni lui ni personne ne pouvait imaginer, vingt ans avant les événements, que la défaite viendrait de l’Extrême-Orient pour un tel Empire (guerre russo-japonaise de 1904-1905).



Dans le volume qu’il consacre en 1888 à l’expansion européenne Niox se montre ferme partisan du développement de l’empire colonial. « Les intérêts de la France ne sont pas limités à la défense de ses frontières et les luttes européennes, desquelles elle est sortie souvent meurtrie et mutilée, lui ont coûté, depuis deux siècles, plus de sacrifices qu’elles ne lui ont rapporté de gloire, affirme-t-il dans son introduction. Sans renoncer à exercer dans la vieille Europe l’influence à laquelle elle a légitimement droit, elle doit avoir également l’ambition de maintenir dans le reste du monde la place qui appartient à la race française. » (9)La France ne doit pas garder, de manière stérile, les yeux rivés sur le Pays annexé. « Au lendemain d’une guerre malheureuse, alors que la nation frémit encore sous le douloureux souvenir de la défaite et du rapt de ses provinces, il a semblé imprudent et presque antipatriotique de détourner l’attention du pays de la frontière sur laquelle l’orage est toujours menaçant », explique-t-il. Pourtant, « ne serait-il pas aussi dangereux pour elle de fermer ses yeux à l’avenir et de méconnaître quelles peuvent être les graves conséquences de la lutte bien autrement gigantesque entamée pour le partage du monde. Cette lutte, la France ne peut la déserter ». Or, elle part bien tard dans cette course, constate Niox, avec un certain pessimisme cependant : « Il n’y a pour ainsi dire plus, sur le globe, de terres vacantes sur lesquelles puisse prospérer la race européenne ; l’Angleterre a tout pris. » (10) L’auteur oppose, de manière classique, la colonisation britannique, colonisation de rapport, à celle de la France, qui « a toujours eu plutôt le caractère chevaleresque d’aventures militaires que celui de spéculations commerciales. Ce sont les hommes d’esprit ardent, les désintéressés et les dévoués qui ouvrent la route : missionnaires, voyageurs, marins et soldats. Le commerçant ne vient qu’ensuite, et le commerçant sérieux ne vient souvent que trop tard, lorsque les étrangers ont déjà pris les meilleures places. » (11). La France a souvent précédé la Grande-Bretagne, mais elle a fini par se faire évincer par elle des territoires conquis, comme en Inde et en Amérique du Nord. Face à ces Britanniques décrits, dans le contexte de l’époque, comme les ennemis héréditaires du colon français, Niox garde tout de même espoir : « Les difficultés même que la France rencontre pour reconstituer son empire colonial auront peut-être pour résultat d’en rendre les fondations plus solides. » (12)



En attendant, promu lieutenant-colonel en décembre 1884, il est muté au 4e tirailleurs à Sousse, mais il demeure hors cadre à l’école de Guerre. En 1886 il produit une étude sur la frontière de l’Est (Haute-Lorraine et Vosges) qui dénote, selon le général Schnéegans, commandant de l’école, « une grande portée d’esprit ». Niox y résume les reconnaissances effectuées par les officiers élèves. Son avant-propos témoigne de l’esprit offensif qui anime la plupart des cadres de l’armée française depuis la défaite. « L’expérience, y écrit-il en effet, nous a montré que, dans les reconnaissances du terrain, les jeunes officiers ont une tendance naturelle à se préoccuper avant tout de ses propriétés défensives, c’est que l’œil perçoit tout d’abord facilement la disposition des obstacles (crêtes, forêts, rivières, etc.) qui peuvent servir de lignes de résistance. Il nous paraît utile de leur recommander instamment de ne pas négliger de faire intervenir, par la pensée, un facteur invisible, mais essentiel de toute opération stratégique, le mouvement. Une reconnaissance ne doit pas se borner à l’étude d’une série de positions ; il est plus important encore de se rendre compte des conditions plus ou moins favorables des manœuvres. (…) C’est de l’habileté des manœuvres et non pas des formes du terrain que dépend surtout le succès des batailles. Il faut donc se garder d’exagérer l’importance du terrain, considéré comme échiquier de combat, et se prémunir contre les idées de défensive qui sont souvent la conséquence de cette erreur. » (13)



 



IV. Le temps des commandements



En mai 1888, il est envoyé à Samarkand (Ouzbékistan russe), en compagnie du chef d’escadron Bailloud (14), pour représenter la France à l’inauguration de la ligne de chemin de fer de l’Asie centrale. Niox, qui passe colonel le jour de son retour, le 7 juillet, demeure toujours à l’école de Guerre. Il fait une bonne impression au cours des manœuvres de 1891, où il assume le commandement d’une brigade de marche de chasseurs à pied. Ayant demandé avec insistance à retourner dans la troupe, il obtient enfin satisfaction en juin 1893, mis par intérim à la tête de la 15e brigade à Laval. Général de brigade en juillet, maintenu à titre définitif dans son commandement, il semble compenser la faiblesse de son ouïe « par la netteté, la vivacité de son intelligence et par ses grandes et hautes aptitudes militaires », constate le général Zurlinden en août 1894. Mais bientôt elles ne suffisent plus : « Il est atteint d’une surdité si prononcée, écrit en septembre 1895 le général Mercier, commandant du 4e corps au Mans, qu’elle paralyse la plus grande partie de ces qualités et peut être la cause de méprises des plus graves dans l’exercice de son commandement. » Le comité technique de santé, présidé par le médecin inspecteur général Colin, a pourtant estimé en août 1894, à l’unanimité, qu’il n’y avait pas lieu de le faire placer par anticipation dans le cadre de réserve. « J’ai compris que les devoirs qui m’étaient imposés étaient plus sévères que pour d’autres, avait écrit le 1er août l’intéressé, très surpris et chagriné de cette enquête, et j’ai toujours donné, comme je donne encore, toute ma vie aux fonctions qui m’ont été attribuées. (…) Je me sens dans la plénitude de mes forces physiques et intellectuelles, espérant pouvoir rendre d’utiles services ».



Sollicité par Mathieu Dreyfus, frère de l’accusé, Niox refuse de témoigner en faveur de son ancien élève, le capitaine Alfred Dreyfus, au cours du conseil de guerre du mois de décembre suivant. En mai 1896 il est nommé inspecteur général des services de la télégraphie militaire et membre du comité technique d’état-major. Continuant à produire les plus grands efforts pour se montrer à la hauteur de ses fonctions, il entreprend un difficile travail de réorganisation de la télégraphie. « Son intelligence est telle qu’elle peut lui permettre de triompher de cette cause si grande de gêne », écrit à propos de son infirmité le général de Boisdeffre, chef d’état-major général de l’armée, le 1er octobre 1896.



En 1897 paraît son Simple récit de la guerre de 1870, dédié « aux simples soldats, à ceux qui sont dans le rang. La plupart ne pourront jamais lire d’histoire savamment écrite ; il faut pourtant qu’ils sachent ce que nous avons souffert en 1870, et qu’ils s’efforcent d’en effacer le souvenir » (15). Cet historique factuel, sans introduction, comporte cependant une conclusion moralisatrice sans équivoque, qui tire les leçons du passé et s’efforce de préparer un avenir qui verra le succès couronner les efforts militaires de la France : « Nous ne savons pas à quel moment la guerre peut recommencer et nous attendons l’avenir. Il faut, jeunes gens, toujours y penser, et conserver dans vos cœurs le souvenir des épreuves que vos pères ont eu à supporter. Je ne vous parle ni de haine, ni de revanche. Ce sont des mots qui font beaucoup de bruit et qu’on entend souvent dans la bouche de ceux qui aiment mieux parler qu’agir. Je vous dis seulement : Que chacun connaisse son devoir et soit à même de le remplir ! Soyez fermes dans le danger, aimez votre Patrie ! Dévouez-vous jusqu’à la mort au Drapeau qui en est le symbole ! » (16)



Promu général de division en octobre 1899, Niox prend le commandement de la 7e division au Mans. « Bien qu’ayant passé loin des troupes une grande partie de sa carrière, il a une aptitude exceptionnelle pour l’instruction vraiment pratique des cadres » et donne toute satisfaction au cours des manœuvres d’automne en 1900, affirme le commandant du 4e corps, le général Sonnois. Cette appréciation est contredite par le général Brugère, vice-président du conseil supérieur de la Guerre, qui émet un jugement sans appel le 8 octobre : « Ne doit pas être laissé à la tête d’une division. Sa surdité le rend absolument incapable d’exercer un commandement actif en temps de guerre. Je m’en suis assuré moi-même, à trois reprises différentes, pendant les grandes manœuvres dernières. »



Malgré tout maintenu dans ses fonctions, Niox devient de surcroît membre des comités techniques de l’infanterie, de l’artillerie et du génie en novembre. Le 19 novembre 1901 il est nommé au commandement supérieur de la défense du camp retranché de Paris, de la place de Paris, au commandement supérieur des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise.



 



V. Prise de fonctions aux Invalides



Placé dans la 2e section (réserve) le 2 août 1905, il est nommé le 8 commandant de l’établissement des Invalides et directeur du musée de l’Armée (17). Les Invalides, construits par Louis XIV pour les anciens soldats (1671-1676), accueillent aussi, en effet, depuis octobre 1896, le musée de l’Armée (qui vient justement de fusionner, en juillet 1905, avec celui de l’Artillerie). Comme l’indiquent ses statuts, le musée « a pour mission de conserver les souvenirs et d’entretenir les traditions glorieuses de l’armée. Sa devise est : Rattacher le présent au passé pour assurer l’avenir ». En août 1909 Niox fonde la Société des Amis du musée de l’Armée (dont il devient le vice-président).



Le voici donc à la tête de deux des plus prestigieux lieux de mémoire de la France militaire. Dans l’église du Dôme, construite par Jules Hardouin-Mansart de 1699 à 1706, le tombeau de Napoléon voisine avec les sépultures de Joseph et Jérôme Bonaparte, du roi de Rome, de Vauban et de Turenne, tandis que l’église Saint-Louis-des-Invalides abrite de nombreux souvenirs des armées de la Monarchie, de l’Empire et de la République (plaques commémoratives, drapeaux). En 1911 la statue de Napoléon par Charles Émile Seurre (1833), qui coiffait la colonne Vendôme jusqu’en 1863, est installée en haut de la façade Sud de la cour d’honneur.



Un rapport de 1906 décrit Niox comme un « auxiliaire utile du commandant du camp retranché de Paris » ; mais si sa santé est bonne, sa surdité continuerait à lui rendre difficile l’exercice d’un commandement actif. Il donne en revanche toute satisfaction à son poste actuel : « Grâce à sa science et à son savoir-faire, il a fait de ce musée une véritable merveille, qui attire journellement une foule considérable de visiteurs, au grand profit du développement de l’idée patriotique en France » (notes de 1910).



 



VI. Maître de cérémonies pendant la Grande Guerre



Niox continue d’assumer ses fonctions tout au long du premier conflit mondial (18) – bien qu’elles soient en principe annuelles -, car il est maintenu exceptionnellement à son poste. C’est aux Invalides que le général Gallieni prend possession le 26 août 1914 du gouvernement militaire de Paris et s’emploie aussitôt à mettre le camp retranché en état de défense, tandis que dans l’avant-cour fonctionne le bureau de recrutement de la Seine, où se pressent les engagés volontaires. Le Temps du 22 août se fait tout particulièrement l’écho de l’impatience des étrangers désireux de combattre pour la France, qui composent un tableau polychrome : « L’esplanade des Invalides est noire de monde. Les étendards italiens, belges, anglais et américains désignent les places occupées par les volontaires de ces différentes nations qui attendent de passer l’examen médical et d’être enrôlés aussitôt. Dans la cour des Invalides, les volontaires russes forment la haie. (…) Sur l’esplanade, du côté de la rue de Constantine, sont massés les juifs, les Tchèques, les Serbes. Un peu plus haut six ou sept cents volontaires américains excitent l’admiration par leur superbe tenue : le sport a fait d’eux des hommes déjà entraînés. Les Anglais, les Luxembourgeois, les Belges sont au centre de l’esplanade, et près de la gare des Invalides se tiennent les volontaires italiens. »



Au cours des mois et des années qui suivent, le prestigieux hôtel est le cadre de nombreuses cérémonies patriotiques, alors même que le tombeau de Napoléon disparaît sous les sacs de sable et qu’un poste de pompiers est installé dans le Dôme. C’est ainsi que dès le 18 août 1914 le premier drapeau pris à l’ennemi, à Saint-Blaise (Basse-Alsace), est remis, dans la cour, en présence de Niox, au doyen des dix derniers invalides, Pierre Dumont, ancien combattant des guerres de Crimée, d’Italie et de 1870, sergent d’infanterie ayant une jambe de bois. Le 11 septembre arrive de Senlis, où il a été pris, le drapeau du 94e d’infanterie prussien ; puis d’autres encore. Le cérémonial devient alors presque banal : escorte d’un détachement de la garde républicaine, ouverture du ban par la musique de la garde, allocution de Niox, dépôt dans la chapelle, fermeture du banc. Le 24 août 1915 le pavillon du zeppelin Z 8, abattu un an auparavant, jour pour jour, à Badonviller, est exposé dans la salle d’honneur du musée. En octobre 1917 c’est le Vieux Charles, l’avion de Guynemer, récemment tué au combat. Niox envoie aussi sur le front des peintres militaires. Dès le 17 décembre 1915 il écrivait à Gallieni, devenu ministre de la Guerre : « Le musée de l’Armée a rempli un rôle auquel on ne s’attendait certainement pas. Une foule considérable se presse tous les jours d’ouverture dans ses galeries devenues trop étroites. C’est un véritable pèlerinage patriotique qu’accomplissent les visiteurs pour se tenir en quelque sorte en union de sentiments avec les armées qui combattent. »



Propagande mise à part, les Invalides sont en effet régulièrement le lieu où viennent se retremper les énergies patriotiques. Le 19 octobre 1914 ils reçoivent plusieurs centaines d’élèves des sociétés de préparation militaire. Le 1er novembre, à l’occasion de la Toussaint, Niox fait déposer au pied du monument du Souvenir une plaquette en bronze doré portant l’inscription : « Hommage aux soldats tués à l’ennemi. » Le 14 juillet 1916 se déroule une remise de diplômes à des familles qui ont perdu un ou plusieurs enfants « mort pour la France ». « Il pleut, raconte le président Poincaré, mais la foule n’en est pas moins dense et chaleureuse. Sur l’esplanade, je passe à pied la revue des troupes alliées. Je m’arrête ensuite pour prononcer mon discours. Pendant que je parle, je crois voir devant moi, comme à travers un voile, des femmes en deuil, de pauvres gens, des mères éplorées, des orphelins cherchant leur père. Je suis forcé de me raidir. » (19)



Le 11 juillet 1915 le conseil des ministres décide, en ces heures d’Union sacrée, d’honorer la figure du compositeur du chant des armées de la République, Rouget de Lisle, en transférant sa dépouille de Choisy-le-Roi au Panthéon. Le 13 juillet une foule importante est massée sur le parcours du cortège. « C’est aux accents de La Marseillaise que, donnant leur vie pour le même idéal, nos soldats de 1914 et de 1915 défendent, avec le même héroïsme, la cause de l’honneur et de la justice, proclame le ministre de l’Intérieur Martin Malvy. À la veille de la victoire définitive, en 1915 comme en 1792, le jour de gloire est arrivé. Rouget de Lisle a bien mérité de la patrie ! » Mais, comme il faut un vote des deux Chambres pour entrer au Panthéon et que la décision s’est faite dans la précipitation, il est finalement décidé que la dépouille de Rouget de Lisle effectuera un séjour provisoire aux Invalides. Le 14 juillet 1915 le corps est accueilli dans la crypte par Niox, Poincaré et un grand nombre de personnalités, dont les présidents de la Chambre et du Sénat (Paul Deschanel et Antonin Dubost) et de nombreux ministres. Plus personne ne songera ensuite à le déplacer au Panthéon.



En 1917 la Société des Amis du musée de l’Armée publie sous la direction de Niox le premier volume d’un album de grand luxe qui présente un choix des plus intéressantes pièces du musée. « Quelque grave que fussent les préoccupations de l’heure présente, lit-on dans l’avant-propos, nous avons pensé ne devoir pas interrompre un travail depuis longtemps commencé, car c’est encore servir la Patrie que de faire connaître les richesses de son patrimoine et de veiller à la conservation des grands souvenirs de son histoire. (…) Le musée de l’Armée est le temple où s’accumulent les trésors légués par les armées françaises de tous les temps et où se gardent pieusement les traditions dont la Patrie s’honore. Là, viennent se recueillir les vieux soldats au milieu des souvenirs qui leur sont les plus chers ; là, viennent aussi les jeunes générations, rendre un culte aux ancêtres et s’inspirer de leurs exemples. » (20)



Pendant la guerre davantage encore qu’en temps de paix, les Invalides accueillent des hôtes étrangers, comme trois frères Garibaldi, engagés volontaires dans l’armée française, que Niox guide le 28 janvier 1915 jusqu’au drapeau pris le 23 janvier 1871 par leur grand-père au combat de Pouilly, près de Dijon. En janvier 1917 ce sont des personnalités suisses francophiles, invitées à Paris par le comité « L’Effort de la France et de ses alliés », puis, le 14 juin, le général Pershing, chef du corps expéditionnaire américain (qui revient le 4 juillet, à l’occasion de la fête nationale). En mai 1918 les Invalides servent de cadre à une remise de décorations par l’ambassadeur du Japon à Paris, Keishiro Matsui.



 



VII. Adoucir les souffrances



Les Invalides jouent aussi, conformément à leur vocation initiale, un grand rôle dans le domaine médical. Au printemps de 1915 est créé sous la présidence d’honneur de Niox et la présidence d’Édouard Herriot, sénateur-maire de Lyon, un cercle gratuit, mis à la disposition des invalides de guerre. Le 13 juillet suivant sont présentées dans la cour d’honneur au sous-secrétaire d’État du Service de santé militaire, Justin Godart, les nouvelles formations de l’ambulance russe aux armées françaises. En juillet 1916 c’est Poincaré qui passe en revue sur l’esplanade deux sections automobiles du British Ambulance Committee offertes à l’armée française.



Niox assume aussi, à partir de l’été de 1915, la présidence d’honneur de l’Œuvre des blessés au travail, qui « se propose de fournir aux soldats convalescents ou réformés les moyens de travailler selon leur état physique, leurs aptitudes, leurs besoins et leur situation » En octobre il accorde également son haut patronage à la Rééducation professionnelle des mutilés de la guerre.



Durant tout le conflit Niox s’efforce de défendre le statut des Invalides face aux empiétements du service de santé qui, le 1er octobre 1917, obtient d’y installer un centre de traitement des paraplégiques au détriment de l’accueil des invalides. À cette occasion Niox manifeste son opposition à l’installation d’un hôpital « dans des conditions hygiéniques sans doute défectueuses, au milieu de l’agglomération des nombreux services qui occupent l’hôtel des Invalides ». Il est vrai que l’institution voulue par Louis XIV n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis l’expulsion des Filles de la Charité qui en assuraient le service (plus aucune admission n’y a été autorisée depuis 1905 et elle n’accueille plus qu’une vingtaine de pensionnaires). Finalement, par décret du 2 janvier 1918, les Invalides passent au régime hospitalier. Dans une lettre adressée au président du Conseil, ministre de la Guerre, Georges Clemenceau, le 1er février, Niox s’insurge alors – bien qu’il admette que ce soient là des questions « relativement secondaires (…) dans les circonstances graves que traverse la patrie » - contre le remplacement des officiers et des sous-officiers du cadre de commandement et d’administration de l’établissement par un personnel du service de santé, et contre son propre remplacement par un médecin principal de 2e classe. Un décret du 2 janvier 1918 a en effet institué la séparation des Invalides (désormais placés sous la direction du service de santé) et du musée de l’Armée.



« L’institution des Invalides, telle que l’avait créée le Grand Roi, il y a deux cent cinquante ans, pour servir d’aide aux soldats ‘‘mutilés et caduques’’ a donc vécu, en conclut Niox. Il serait fâcheux que l’histoire pût dire que cette institution a été supprimée, en pleine guerre, par une décision rapide d’un ministre de la Guerre, sans doute incomplètement informé, sans qu’une objection lui ait été présentée. » Clemenceau, tout en affirmant partager son point de vue, lui répond le 28 février qu’il se trouve dans l’impossibilité, « en raison des circonstances », de revenir sur les mesures prises, et l’autorise en tout état de cause à continuer à porter le titre de « commandant des Invalides » (par décret du 17 septembre 1920 l’institution sera finalement rétablie).



 



VIII. Triomphes et inquiétudes



            Les Invalides connaissent encore des heures inoubliables après l’Armistice. Le 24 avril 1919 Niox y reçoit des centaines de marins britanniques à l’occasion des fêtes données à Paris en l’honneur de la flotte de leur pays (21). Trois mois plus tard, les cérémonies du défilé de la Victoire commencent, le 13 juillet dans la matinée, par une messe à l’église Saint-Louis, à laquelle assistent le maréchal Foch et de nombreux généraux et officiers français et alliés. À cette époque le musée reçoit dans ses collections les drapeaux des régiments dissous.



Relevé de ses fonctions du fait de la cessation des hostilités, qui remet en vigueur les règles normales des limites d’âge, Niox est remplacé par son adjoint (et gendre) le général Malleterre, et replacé dans la section de réserve en décembre 1919. « Reprenant et continuant l’œuvre de haute portée morale entreprise par le général Vanson, explique Clemenceau à l’occasion de ce départ, (le général Niox) n’a cessé d’apporter à cette œuvre tout son dévouement et le précieux appui de son érudition et de sa science. Grâce à lui le musée de l’Armée a continué brillamment la mission que ses fondateurs lui avaient assignée. En permettant à la population parisienne de se retremper dans le souvenir émouvant de nos gloires passées, en mettant sous ses yeux, au fur et à mesure des événements, les trophées conquis par nos héroïques soldats, le musée de l’Armée a contribué à maintenir, dans l’âme populaire, une confiance inébranlable en la victoire finale. » Pour récompenser l’ancien gouverneur est créée pour lui la fonction de directeur honoraire du musée.



En 1921 Niox publie : La Grande Guerre, 1914-1918, simple récit, qui, écrit-il, « rappellera à ceux qui ont combattu les émotions de ce long drame. Il dira aux jeunes quelle a été l’énergie de dévouement des aînés, obscurément tombés en accomplissant leur devoir ». Se souvenant sans doute des volontaires d’août 1914, il ajoute : « Si la France a été victorieuse, elle le doit à l’union de toutes ses forces, en même temps qu’à l’appui des peuples amis venus combattre avec elle pour le triomphe du droit. Ce livre a été écrit par un vieux soldat dans la pensée qu’il pourra prendre sa place au foyer de la plus modeste famille. » Dans son dernier chapitre, qui concerne le traité de Versailles, Niox se rend compte du caractère imparfait du « système » ainsi créé et livre une sorte de testament géopolitique.



« La Conférence suprême qui en établit les conclusions se préoccupa, non seulement de faire cesser la guerre, de mettre l’Empire allemand hors d’état de la recommencer, de l’obliger aux réparations dont il était responsable, elle eut l’intention de régler avec justice le sort de tous les peuples des différentes races de l’Europe et de l’Asie occidentale, écrit-il. Cette tâche dépassait sans doute les forces des hommes qui l’avaient assumée. L’avenir seul pourra dire s’ils ont réussi à l’accomplir. La guerre avait été si douloureuse ; elle avait causé tant de ruines que les peuples aspiraient à la paix ; ils étaient disposés à se contenter des apparences. » C’est dans la question des minorités nationales que Niox voit, à juste de titre, une des sources de tensions futures. « La délimitation même des nationalités est, en effet, un problème insoluble », note-t-il avec raison. Comme ses contemporains les plus clairvoyants, il met en garde contre la renaissance du militarisme outre-Rhin : « Ce serait une grande imprudence que d’oublier les dangers du passé. L’expérience a montré que lorsque l’Allemand se croit le plus fort, il est arrogant et brutal ; qu’il pousse au premier rang les êtres de violence. Les plus timides, les paisibles se taisent, tout en se tenant prêts à profiter du succès si l’entreprise réussit. »



C’est à l’hôtel des Invalides, auquel – on l’aura compris – il s’était passionnément attaché, que s’éteint Niox le 26 octobre 1921, mais c’est à Sèvres qu’il est inhumé dans le caveau familial, selon ses dernières volontés (22).



Conclusion



Nous avons donc maintenant une idée plus précise de qui est le général Niox, figure incontournable de la géographie militaire entre 1875 et 1920 environ. C’est avant tout un officier d’infanterie, puis d’état-major, désireux de suivre les traces de son père, « mort pour la France » (si l’on nous permet cet anachronisme). Tout au long de sa carrière il recherche les commandements et veut retrouver la troupe. Cette carrière est cependant irrémédiablement contrariée par un lourd handicap – nié de toutes ses forces par Niox -, qui pousse ses supérieurs à le cantonner, pour l’essentiel, à des fonctions de bureau et d’enseignement. Ainsi poussé vers l’étude contre son gré, il devient d’abord l’historien de la campagne du Mexique, puis un géographe reconnu, fondateur d’une école.



Dans une seconde vie, qui fait suite à sa mise au cadre de réserve, il commande deux institutions prestigieuses, les Invalides et le musée de l’Armée. S’il ne peut maintenir le lustre de la première face aux évolutions du monde de la santé militaire, il fait de la seconde un outil pédagogique important avant et surtout pendant la Grande Guerre, également haut lieu de propagande en faveur de l’effort de guerre de la France et de ses alliés.



Niox est aujourd’hui bien oublié, même si une rue du 16e arrondissement de Paris porte son nom. C’est une personnalité représentative d’une époque, celle où l’armée de la IIIe République cultivait le goût de l’histoire, de la géographie et d’autres disciplines dont elle n’entendait pas laisser l’exclusivité à la sphère civile, dans un but unique : le relèvement du pays et la préparation d’une « revanche » qui, en attendant un hypothétique retour des « Provinces perdues » dans le giron de la « Mère-Patrie », passait par l’expansion coloniale, la conclusion d’alliances avec la Russie, puis la Grande-Bretagne et le rayonnement scientifique du pays. Niox, dont une partie de l’œuvre est forcément datée, mais qui a aussi eu des intuitions quasi-prophétiques sur certains sujets, demeure un sujet d’étude éclairant sur un grand moment de l’histoire intellectuelle de l’institution militaire (car il n’est que temps d’oser employer ce terme en ce qui concerne l’armée). Pour preuve, en 2014, à l’occasion du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, son ouvrage resté le plus actuel a été réédité dans une version grand public par les éditions France Empire, sous le titre : La Grande Guerre 1914-1918.



 



Publications du général Niox : Atlas de géographie physique, politique et historique à l’usage des classes, Paris, s.d. (en coll. avec Eugène Darsy). – Indo-Chine, Corbeil, s.d. - Étude sur les fortifications de Kehl, 1862. – Étude sur l’emploi des chemins de fer par les armées allemandes en 1870, 1872. – De l’Emploi des chemins de fer pour les mouvements stratégiques, Paris, 1873. – Carte du Mexique, Paris, 1873. - Expédition du Mexique, 1861-1867. Récit historique, politique et militaire, Paris, 1874. - Géographie militaire, Paris, 7 vol. : 1/ Introduction. Notions de géologie, 1876 (rééd. et actualisé en 1878 et 1880, puis en 1881, 1882, 1886, 1893, 1897 et 1903 sous le titre : France). 2/ Grandes Alpes, Suisse, Italie, 1880 (rééd. et actualisé en 1885 et 1891). 3/ Europe centrale, Allemagne, Hollande, Danemark, 1881 (rééd. et actualisé en 1885 sous le titre : Allemagne, Hollande et Danemark. Frontières occidentales de la Russie, puis en 1891 : Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Russie occidentale). 4/ Europe centrale, Autriche-Hongrie, 1881 (rééd. et actualisé en 1882, puis en 1887 et 1893 sous le titre : Autriche-Hongrie et Péninsule des Balkans). 5/ Europe orientale et bassin de la Méditerranée. Péninsule des Balkans, 1882 (rééd. et actualisé en 1883, puis en 1887 sous le titre : Le Levant et le bassin de la Méditerranée, éd. à part : Péninsule des Balkans, 1886). 6/ Algérie et Tunisie, 1884 (rééd. et actualisé en 1890). 7/ L’Expansion européenne. Empire britannique et Asie, 1888 (rééd. et actualisé en 1893 sous le titre : L’Expansion européenne. Empire britannique. Asie. Afrique. Océanie, et en 1895 et 1897). - Les Routes militaires des Grandes Alpes et la frontière austro-italienne. Esquisse de géographie militaire, Paris, 1877. Description géologique et géographique de la France, 1877. - Carte de la France et des pays voisins, 1878. – Géographie militaire de la France. Atlas, sde éd. 1882. – Carte de l’Allemagne, 1882. - Les Possessions en Asie et en Afrique de l’Empire ottoman, 1882. – Algérie, géographie physique, Paris, 1884. – Algérie, Paris, 1885. – École supérieure de Guerre, Géographie militaire (1885-1886). Notes sur la frontière de l’Est (Haute-Lorraine et Vosges), Paris, s.d. - Géographie militaire de l’Europe. Atlas, 1886. – Atlas de géographie, 1886. – Empire russe, Corbeil, 1886. – Péninsule des Balkans, Corbeil, 1886. - Sénégal et Niger, Paris, 1886. – Cours de géographie de l’école supérieure de Guerre, 1886-1887. – Le Premier livre de géographie (livre du maître), Paris, 1888, rééd. 1891 (en coll. avec Frédéric Braeunig). - Expansion des peuples européens. Russes et Anglais. Colonies françaises, 1887. – Résumé de géographie physique et historique, Paris, 1893, rééd. 1895 et 1900. – Résumé de géographie, Paris, 1895, 3 vol. : 1/ La France. 2/ L’Europe. 3/ L’Asie, l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie. – La Guerre de 1870. Simple récit, Paris, 1896-1897. – Atlas physique et politique (avant 1897). – Atlas de géographie générale avec notes statistiques, historiques et géographiques, Paris, 1900. – Atlas de géographie générale. Notices, Paris, 1900. - « Armée et marine » in Le Mexique au début du XXe siècle, Paris, 1904. – La Guerre russo-japonaise. Chroniques (extrait de la Revue de géographie), Paris, 1906. - L’Hôtel des Invalides, Paris, 1909 (traduction anglaise : The Hôtel des Invalides, Paris, 1910). – Drapeaux et trophées, résumé de l’histoire militaire contemporaine de la France, Paris, 1910. – Atlas classique, Paris, 1910 (en coll. avec M. Fallex). – Histoire et géographie, Paris, 13e éd. 1911. – Napoléon et les Invalides, Paris, 1911. – Géographie militaire. Les Pays balkaniques, Paris, 1915. – Les Volontaires hellènes aux Invalides. M. Dragasès Paléologue remet le drapeau du bataillon des Hellènes au général Niox. Les discours, Paris, 1915 (en coll. avec Dragasès Paléologue). – Le Musée de l’Armée. Armes et armures anciennes et souvenirs historiques les plus précieux, Paris, 1917, 2 vol. : 1/ (Niox), Armes et armures. – Résumé des fastes militaires de la France du XIVe au XXe siècle. Guide d’une visite à la section historique du Musée de l’Armée, Paris, 1920. - La Grande Guerre, 1914-1918, simple récit, Paris, 1921, rééd. 2014. – Napoléon aux Invalides, Paris, 1921 (en coll. avec le général Malleterre et al.). – Préfaces : Escalle (Charles-Pierre), Des Marches dans les armées de Napoléon : Borghetto (1796), Ulm (1805), Iéna (1805), Smolensk (1812), Lützen et Dresde (1813), Waterloo (1815), Paris, 1912. – Patté (Paul), Le Cran, Paris, 1917. – Robiquet (Jacques), Musée de l’Armée. Catalogue des armes et armures de souverains français et étrangers, Paris, 1916. – Vérillon (Maurice), Les Trophées de la France, Paris, 1907. – Traductions : Ferrero della Marmora (Alfonso), Un peu plus de lumière sur les événements politiques et militaires de l’année 1866, Paris, 1874 (en coll. avec Ernest Descoubès). – Hahnke (W. von), Campagne de 1870-1871. Opérations de la IIIe armée, Paris, 1874 (en coll. avec Louis-Jean Savari). – Wartensleben-Carow (Hermann), Campagne de 1870-1871. Opérations de la Ire armée sous le commandement du général von Manteuffel, depuis la capitulation de Metz jusqu’à la prise de Péronne, Paris, 1873. – Cartographie : Sancerme (Charles), La Question d’Orient populaire. Qu’est-ce que la question d’Orient ? son histoire, ses origines, les intérêts français, les intérêts des autres puissances, la solution, Paris, 1897 (cartes historiques du colonel Niox).



Note du comité éditorial :  cet article a été publié également dans Géographie et guerre, de la géographie militaire au Geospatial Intelligence en France (XVIIIe-XXIe siècles), sous la direction de Philippe Boulanger, Société de géographie de Paris, Bulletin Hors-série, 2016, p. 31-45.



Notes : 



(1) Font exception les études de Philippe Boulanger : « La Géographie militaire (1876-1895) de Gustave-Léon Niox », Stratégique, Institut de géostratégie comparée (SIGC), 4/ 2000, n° 76, pp. 95-126. – « L’Allemagne vue par les géographes militaires français entre 1871 et 1939 », SIGC, 2-3/ 2001, n° 82-83, pp. 119-147. –La Géographie militaire française, 1871-1939, Paris, 2002.





(2) Sauf mention contraire, les informations sur Niox sont tirées de son dossier personnel conservé au Service historique de la Défense au château de Vincennes, sous la cote 9 Yd 303.





(3) Voir : Avenel (Jean), La Campagne du Mexique (1862-1867). La fin de l’hégémonie européenne en Amérique du Nord, Paris, 1996.





(4) Expédition du Mexique, 1861-1867. Récit historique, politique et militaire, Paris, 1874, n.p.





(5) 1854-1931, commandant de la 7e armée pendant la Grande Guerre.





(6) France, 1878, pp. VII-VIII (de l’édition de 1881).





(7) Europe centrale, Allemagne, Hollande, Danemark, 1885, p. V.





(8) Allemagne, Hollande, Danemark, frontières occidentales de la Russie, 1885, p. 364.





(9) L’Expansion européenne, 1888, p. 1.





(10) Ibid., p. 2.





(11) Ibid., p. 3.





(12) Ibid., p. 16.





(13) École supérieure de Guerre, Géographie militaire (1885-1886). Notes sur la frontière de l’Est (Haute-Lorraine et Vosges), Paris, s.d. pp. 1-2.





(14)1847-1921, commandant du corps expéditionnaire d’Orient pendant la Grande Guerre.





(15) La Guerre de 1870. Simple récit, 1896-1897, s.p.





(16) Ibid., pp. 131-132.





(17) Voir, entre autres : Barcellini (Caroline), Le Musée de l'Armée et la fabrique de la nation, Paris, 2010. – Blanc (Général Henri), « Le Musée de l’Armée », Revue internationale d’histoire militaire, n° 16, 1955, pp. 435-445. – L’Institution nationale des Invalides, Paris, 1980. - Lagrange (François), Reverseau (Jean-Pierre), Les Invalides. L’État, la guerre, la mémoire, Paris, 2007. - Muratori-Philip (Anne), Histoire des Invalides, Paris, 2001. – Pédron (François), L’Institution nationale des Invalides, hymne à la vie, Paris, 2005. - Regnault (Général Jean), « L’Hôtel des Invalides », Revue historique de l’armée, n° 4, septembre-décembre 1951, pp. 63-78. - Robichon (François), « Invalides : de l’hospice au musée », L’Histoire, n° 207, février 1997, pp. 42-43.



(18) Sources : Le Temps, 22 août, 12 septembre ; 8, 20, 31 octobre et 2 novembre 1914 ; 2 janvier, 29 mars, 1er avril, 18, 21 juin, 25 août, 2 septembre et 11 octobre 1915 ; 25 mars, 15 juin, 7, 8, 13 juillet, 31 octobre 1916 ; 27 septembre, 18 novembre 1917 et 31 mai 1918.





(19) Poincaré (Raymond), Au Service de la France, Paris, t. 5 : L’Invasion, 1928 ? 14 juillet 1916.





(20) Le Musée de l’Armée. Armes et armures anciennes et souvenirs historiques les plus précieux, Paris, 1917, 2 vol. : 1/ (Niox), Armes et armures. p. IV





(21) Le Moniteur de la flotte, 12 avril 1919.





(22) « Mort de M. le général Niox », Bulletin de la Société des Amis du musée de l’Armée, n° 13, octobre 1921, pp. 11-16.





 


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