Article
N°14-15 mai-novembre 2019 : Impacts environnementaux et approches spatiales de la Grande Guerre:
Editorial
Par Alain Devos (Professeur de géographie à l'Université de Champagne-Ardennes)
Dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, la production éditoriale fut pléthorique avec de très nombreux ouvrages principalement traités par l’approche historique alors que la place de la géographie et des géosciences dans le conflit reste longtemps marginale voire absente.
Les atlas récents de la Grande Guerre représentent généralement, les dimensions géopolitiques, l’évolution des batailles et des lignes de front, sans compréhension de leurs structures spatiales et de leurs héritages dans le paysage.Les approches géographiques et environnementales sont longtemps délaissées, voire méprisées par la communauté scientifique.
Pourtant, durant le conflit, la guerre de position engendre une véritable prise en compte de l’importance des paramètres environnementaux dans l’organisation des lignes de défense, dans les contraintes à la manœuvre, la traficabilité, l’efficacité des tirs d’artillerie, les potentialités d’accès aux ressources en eau ou au creusement dans le cadre de la guerre des mines. Les géologues sont utilisés de manière hétérogène par les belligérants. Au sortir de la guerre, dans les pays anglo-saxons, au Royaume-Unis, en Allemagne, aux USA, on assiste à la naissance d’une véritable discipline, « la géoscience militaire » où la « Wehrgeologie » s’exprime particulièrement alors qu’en France, l’approche spatiale se cantonne aux « conditions géographiques de la guerre de Robert Vilatte en 1925 ».
Depuis une vingtaine d’année, l’approche géographique et scientifique passe par l’analyse environnementale post-conflit. Cette approche novatrice se manifeste particulièrement dans les pays anglo-saxons avec la création de l’International Society of Military Sciences(ISMS)l’international Association of Military Geosciences (IAMG), avec de multiples publications,ouvrages et articles scientifiques.
En France, les géosciences et la géographie physique, s’intéressent tardivement à la grande Guerre suite à l’apparition de contaminations « émergentes » avec les perchlorates dans les nappes souterraines, aux risques géotechniques associés aux cavités de la Grande Guerre, à la démocratisation de l’outil lidar et bien sûr au centenaire. L’approche archéologique depuis la fouille de la sépulture multiple d’Alain Fournier en 1991, s’affirme en véritable discipline autour des conflits armés qui se structure au sein des services archéologiques (SRA, INRAP),des associations comme l’Association Française de Recherches en Archéologie Contemporaine (AFRAC) en 2015. Les colloques de Péronne en 1997, de Suippes et d’Arras en 2007, de Strasbourg en 2013, de Verdun en 2018 et de Caen en 2019 témoignent de la vitalité de cette discipline.
C’est dans cette dynamique que le programme de recherche IMPACT 14-18 s’inscrit, porté par l’EA 3795 du GEGENAA, d’une durée de 4 ans (2015-2018) et financé par la région Grand-Est. Labellisé par la mission Centenaire en 2017, il regroupe un consortium d’universitaires de Reims (GEGENAA, CERHIC), d’Amiens (EDYSAN) et de Beauvais (Institut La Salle Beauvais), de collectivités locales (Reims Métropole), d’établissements publics faisant l’objet de convention (INRAP, Musée de Meaux) et d’associations (Main de Massiges, Correspondance Cote 108, Le Souvenir de Sommepy-Tahure, GEACA, Groupe Mémoire et Commémoration).
Le programme IMPACT 14-18 a produit 4 rapports de stage de master 2, et la thèse de Pierre Taborelli (soutenue le 2 juillet 2018). Les principaux résultats sont publiés dans l’ouvrage « La Terre et le Feu, Géologie et géologues sur le front occidental », porté par un groupe de travail associant l’Association des Géologues du Bassin de Paris (AGBP), la Société Géologique du Nord (SGN) et le Comité Français pour l'Histoire de la Géologie (COFRIGEO). Les travaux sont également valorisés par 8 articles dans des revues scientifiques, par 10 interventions dans des colloques nationaux (Paris, Chambéry, Versailles, Verdun) et internationaux (Afrique du Sud, Inde), par 15 conférences de vulgarisations scientifiques dans le Grand Est, par des expositions (frise de 13 m, 20 roll’up) et enfin des interventions télévisuelles et radiophoniques.
Ce programme de recherche fédérateur a également fait naître une dynamique scientifique autour de la Grande Guerre sur les impacts environnementaux avec de nombreux montages de projets (POLEMOFOR, CRATER, ANR-SPACE WW1) et le programme de recherche PERCHL’EAURIGINE, sur la contamination de la nappe de craie de Champagne en ions perchlorates géré par le GEGENAA de 2017 à 2019, en collaboration avec le BRGM, L’ARS, l’AESN et le Grand Reims. Il a été valorisé par un colloque à Reims, le 20 et 21 septembre 2018 qui fut une belle opportunité d’échanger les principaux résultats des récentes recherches sur l’apport de l’approche spatiale, de l’archéologie et des géosciences, notamment dans l’évaluation environnementale post-conflit au terme du Centenaire de la Grande Guerre. Il a fait l’objet d’actes distribués aux participants et proposés à la Revue de Géographie Historique dans ce présent numéros. Les héritages morphologiques et archéologiques de la Grande Guerre sont traités, ainsi que les traces d’ordre taphonomique ou indices phytographiques. Les conditions géologiques et géographiques de la zone de front synet postconflit font aussi l’objet de contributions originales.
Bonne lecture !
Alain Devos