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n°2 mai 2013 : Géographie historique des paysages en Allemagne:

A propos de la genèse du paysage le long de l’Unstrut inférieure

Mathias DeutschTobias Reeh


Par Mathias Deutsch et Tobias Reeh (Université de George-Auguste de Gottingen, Institut de géographie, Allemagne)



Résumé : cet article tend à traiter de la genèse des paysages sur les rives du cours inférieur de l'Unstrut, sur le bassin versant de l'Elbe, à partir des données géographiques et historiques. Il met en évidence la réappropriation par l'homme, notamment par les moines cistersiens dès le XIIIe siècle, des rives de cours d'eau. La lutte contre les inondations à la fin du Moyen-Age, à l'époque moderne, puis contemporaine, est une constante du travail des populations avec des incidences importantes sur l'évolution des paysages.



Mots-clefs : Elbe, Allemagne, Unstrut, Moyen-Age, époque moderne, époque contemporaine, cours d'eau, inondations, paysages, rives.



 



Introduction



Depuis des millénaires déjà, les hommes se sont installés près des cours d’eau. Sur les rives des ruisseaux, des rivières et des fleuves, on disposait de suffisamment d’eau douce pour des usages domestiques, le jardinage de subsistance et de décoration ainsi que l’agriculture. On y bénéficiait aussi de l’énergie des eaux courantes en y construisant des moulins à eaux pour moudre les grains. Pendant les derniers siècles, même des rivières plus petites, telles que la Saale et l’Unstrut sur les territoires appartenant aux actuels Länder de Thuringe et de Saxe-Anhalt, servaient de voie de communication et de transport. Les différents usages conduisaient forcément « à des modifications aussi bien des propriétés physico-chimiques de l’eau que des caractéristiques morphologiques de cours d’eau. » (Karthe et al. 2010, p. 85). Les recherches sur la genèse des paysages anthropisés accordent à cette réalité une attention particulière. Il est essentiel de comprendre « la composante du paysage qu’est l’eau non seulement comme fil conducteur (par exemple l’hydrologie, génie hydraulique) ou comme objet d’une discipline propre (telle que le droit de l’eau) (Bebermeier et al., 2008), mais explicitement dans le contexte d’un champ de recherche consacré aux relations hommes – environnement » (Karthe et al. 2010, 86). Dans le cadre d’un projet financé par la Deutsche Bundesstiftung Umwelt (Fondation fédérale pour l’environnement), des chercheurs de l’Institut de géographie de l’université Georg-August de Göttingen mènent des études paysagères sur des tronçons sélectionnés des cours de la Saale et de l’Unstrut.



Nous nous proposons ici de retracer à partir de sources textuelles imprimées et manuscrites, iconographiques et cartographiques, les étapes essentielles de la genèse du paysage sur les rives du cours inférieur de l’Unstrut.



1. Données sur l’Unstrut



Quelques indications préliminaires essentielles concernant le cours d’eau étudié s’avèrent nécessaires. L’Unstrut fait partie du bassin-versant de l’Elbe et est le plus grand affluent de la Saale. En tant que rivière principale du bassin de Thuringe et de ses marges sa longueur est d’environ190 km de sa source dans l’Eichsfeld près de Kefferhausen (395 m au-dessus du niveau de la mer) à sa confluence avec la Saale près de Großjena (105 m ).







Carte 1 b



Cartes 1a/b (a) Situation du territoire étudié et (b) cours de l’Unstrut (b) Tracé de l’Unstrut



(Source: cartographie de l’Institut de géographie de l’université de Göttingen)



Selon une étude présentée en 1952 par Ludwig Bauer (1952), on peut distinguer trois tronçons du cours d’eau:



Le cours supérieur (envrion 68 km)



De la source près de Kefferhausen (Eichsfeld) à la confluence avec la Gera (fig. 1)



Le cours moyen (environ 42 km) de la confluence avec la Gera jusqu’à l’affluent de la Wipper, près de Sachsenburg (fig. 2)



Le cours inférieur, qui correspond à notre espace d’étude « Basse Unstrut »



 



De la confluence avec la Wipper jusqu’à Großjena où l’Unstrut se jette dans la Saale (fig. 3)



 



La pente d’ensemble ne s’élève qu’à 1,53%. Mis à part un court secteur sur le cours supérieur, l’Unstrut peut être qualifiée de rivière de plaine. La Gera, la Wipper et l’Helme sont ses affluents les plus importants. Son bassin-versant s’étend sur 6350 km2 de la forêt de Thuringe, du Hainich, du plateau de l’Eichsfeld et du Harz au bassin de Thuringe, en situation d’abri orographique. Son bassin-versant est caractérisé par des précipitations élevées dans la forêt de Thuringe et dans le Harz et par de faibles précipitations dans le bassin de Thuringe. Sur les crêtes de la forêt de Thuringe, les précipitations annuelles moyennes pluri-décennales atteignent 1200 mm. Le bassin de Thuringe avec ses plateaux bordiers jouissent d’une situation d’abri sèche et chaude grâce aux moyennes montagnes du Harz et de la Forêt de Thuringe. Les précipitations moyennes annuelles se situent ici entre 450 et 510 mm (Deutsch, 2007). Les niveaux d’eau les plus élevés pendant les mois d’hiver, avec des maxima d’écoulement au mois de mars et l’étiage pendant le mois d’août et de septembre, caractérisent le régime de l’Unstrut. De nombreux facteurs naturels, comme la faible perméabilité des roches et la faible pente du bassin versant peuvent être considérés comme favorables à l’extension importante des inondations (Bauer 1964, p. 536).



Dans le passé, les actions humaines, telles que la construction de digues, dans un premier temps de manière non coordonnée, provoquait une augmentation du risque de crue. Ainsi, à la borne de Straußfurt, on a enregistré, entre 1888 et 1950, 303 événements de crue, dont 225 (soit 74%) entraînèrent des débordements. L’Unstrut est ainsi le cours d’eau présentant le danger d’inondation le plus élevé en Allemagne centrale ( cf.Kugler & Schmidt, 1988). La surface menacée de submersion dans toute la vallée de l’Unstrut atteignait environ 23220 ha avant l’achèvement des travaux hydrauliques d’envergure (vers 1950). (Bauer 1952, p. 20) (voir fig. 4)





 



Figure 1 Source de l’Unstrut dans l’Eichsfeld près de Kefferhausen (Thuringe), photo M. Deutsch, Janvier 2013





Figure 2 Cours moyens de l’Unstrut près de Gorsleben (Thuringe) (photo, M. Deutsch, février 2009)





Figure3 Confluence avec la Saale près de Großjena (Saxe-Anhalt), photo aérienne prise vers 1935, collection M. Deutsch)





Figure 4: Inondation de la vallée de l’Unstrut près d’Artern pendant l’hiver 1939/40 (Deutsch, 2007, p.81)



2. Evolution paysagère de l’Unstrut inférieure



Du point de vue de l’action humaine depuis le Moyen Âge, la genèse du paysage de la vallée l’Unstrut s’est déroulée en 4 grandes phases principales.



Phase I (du Moyen Âge jusqu’à 1750 environ)



La première phase débute au Moyen Âge, même si des dates précises ne peuvent pas être données en raison de l’absence de sources satisfaisantes. Il est hautement probable que depuis le XIIe siècle, des cisterciens du monastère de Walkenried et des colons flamands oeuvraient sur les bords de l’Unstrut aux alentours d’Artern.



Ils aménagèrent des fossés de drainage et réalisèrent des rectifications du cours d‘eau. Ces travaux furent sans doute poursuivis aux XIIIe, XIVe et XVe siècles, mais les sources n’en fournissent guère de témoignages probants. Il faut attendre le XVIe siècle pour voir apparaître dans les sources un « fossé flamand » (flamischer Graben) dans le finage de Ritteburg/Gehofen, ce qui peut être considéré comme un indice pour l’activité d’aménagement des Flamands évoquée plus haut (Schmidt 1933/34, p. 6). Mais dans la phase I, des modifications profondes dans la vallée de l’Unstrut ne semblent pas avoir eu lieu. Comparée[MD1]  aux siècles suivants, l’action humaine ne modifia l’écoulement de l’Unstrut que d’une manière insignifiante.



Cependant, les barrages, mis en place déjà au Moyen Âge, avaient des répercussions durables sur l’écoulement. Le « Grand Barrage » près de la ville d’Artern faisait ainsi partie des plus grands barrages transversaux. Les crues l’ont détruit à plusieurs reprises et il fut en dernier lieu complètement rebâti dans la première moitié du XVIIIe siècle sous la direction de l’ingénieur Johann Gottfried Borlach (1687-1768). (Deutsch & Hintermeier 2003). Les lois princières relatives aux cours d’eau ont une certaine importance pour cette première phase de l’évolution paysagère de l’Unstrut et de sa plaine alluviale. Elles furent édictées par exemple pour garantir le fonctionnement régulier des moulins à eau, mais aussi des largeurs uniformes des rivières. Le premier règlement pour l’Unstrut et ses moulins date de 1607 (Deutsch, 2007) (Cf. fig.5). Peu respecté par les riverains, une version nouvelle fut édictée en 1653 (Deutsch, 1998).



Phase II (de vers 1750 à 1795)



La deuxième phase commença vers le milieu du XVIIIe siècle et se termina vers 1795. Bien que l’Unstrut fût nettoyée localement et son chenal élargi avant cette période, il faut attendre le XVIIIe siècle pour avoir des preuves d’interventions notables sur certains tronçons du cours d’eau. A cette époque, les administrations du gouvernement du duché de Saxe à Dresde se décidèrent à faire effectuer un nettoyage complet de l’Unstrut et de son lit d’inondation. Commencés au mois de mai 1755 près de la confluence avec la Saale à Großjena, les travaux furent interrompus en 1756 par la Guerre de Sept Ans (1756-1763) alors qu’ils n’avaient atteint que le cours moyen, vers Leubingen. Ce sont les habitants vivant dans les villages et villes près de la rivière, des journaliers ainsi qu’un contingent de 300 soldats saxons qui furent chargés de réaliser les travaux de nettoyage. Si l’essentiel du travail consistait à enlever du lit de grandes quantités de bois morts, de sable, de graviers et d’éboulis, ils conduisaient aussi à la coupure de méandres. On enlevait aussi les arbres et arbustes près des berges. Dans l’ensemble, le « grand nettoyage » n’avait que des effets relativement limités sur l’écoulement et la végétation dans le lit d’inondation. Ce qui fut plus décisif était l’ordre donné en décembre 1790 par l’Electeur de Saxe Frédéric Auguste III de réaliser le projet de rendre l’Unstrut navigable entre Bretleben près d’Artern et Großjena (cf. Pinckert 1831, Schwarz & Faist 1993, Schmölling & Schmölling 1994).



Dès avril 1791, ce projet mobilisait, par moments, plus de 2000 hommes. Jusqu’en 1795, l’Unstrut fut rendue navigable sur à peu près 72 km. Cela nécessitait non seulement de construire 12 écluses, mais aussi de couper de nombreux méandres et d’agrandir le rayon de ce qu’on appelait des « courbes de rivières » (Flusskrümmen). Il fallait en outre évacuer des masses d’éboulis et de boue. Afin de pouvoir tirer les bateaux vers l’amont, on aménageait des sentiers pour les bateliers. Avant l’ouverture de l’Unstrut au trafic de marchandises en avril 1795, on créa aussi de nombreuses places pour charger et décharger les bateaux. Ces travaux peuvent être considérés comme la première intervention massive dans un secteur important du fleuve.





Carte 2: Ecluses construites pour rendre l’Unstrut navigable (1791/1795) (Source : cartographie de l’Institut de géographie de l’université de Göttingen)





Figure 5 Ecluse sur l’Unstrut près de Burgscheidungen (photo Deutsch, novembre 2012)



Phase III (de 1795 à 1870)



La troisième phase débuta à la fin du XVIIIe siècle et se termina vers 1870.



Le traité de Vienne (novembre 1814 – juin 1815) ayant attribué des parties de la Saxe à la Prusse de nombreux secteurs du cours d’eau tombèrent sous la coupe de l’administration prussienne. Confrontés aux plaintes des riverains au sujet de dégâts provoqués par des inondations, les administrateurs prussiens commençaient à s’intéresser aux travaux hydrauliques. S’y ajoutait l’intérêt de l’Etat de rendre la plaine alluviale, peu ou pas exploitée jusqu’alors, utilisable par l’agriculture.



La planification et la réalisation des travaux de régulation et d’assèchement furent confiées au conseiller royal prussien des bâtisses Hermann Wurffbain. Né le 30 juin 1804 à Breslau en Silésie et mort le 24 octobre 1889 à Arnstadt (Thuringe) il était, vers le milieu du XIXe siècle, l’un des ingénieurs-hydrologues les plus réputés de la Prusse (Deutsch, 2005). Après avoir été chargé par le ministère de l’agriculture de Prusse de la réalisation des travaux, Wurffbain constitua un dossier volumineux, qui ne fut non seulement soumis aux autorités de l’Etat, mais aussi imprimé afin que les riverains en prennent connaissance (Wurffbain, 1855).



Initialement Wurffbain projetait d’entreprendre des travaux de régulation et d’assèchement dans trois secteurs, à savoir :




  1. Sur le cours supérieur de Görmar à Merxleben


  2. Sur le cours moyen de Gebesee à Sachsenburg et


  3. Sur le cours inférieur de Sachsenburg à Nebra



En raison de la résistance des Etats voisins, également riverains de l’Unstrut (dont la principauté de Schwarzburg-Sondershausen) ainsi que de protestations de cultivateurs, seulement deux projets de Wurffbain furent finalement réalisés à partir de 1856/1857, et ceux-ci seulement à une échelle réduite (Wurffbain 1871). Il s’agissait des travaux sur le cours supérieur de Bollstedt à Merxleben et sur l’Unstrut inférieure de Bretleben à Nebra. Nous allons nous concentrer sur les aménagements de la Basse Unstrut (de Bretleben à Netra).



Le projet de Wurffbain poursuivait pour l’essentiel deux objectifs. D’un côté, les travaux étaient destinés à protéger la plaine alluviale d’inondations estivales. Cela nécessitait des mesures de régulation, d’élargir la rivière et de creuser son chenal localement ainsi que la construction de digues. D’un autre côté, Wurffbain voulait étendre les terres cultivables (Wurffbain 1855). Afin de financer le projet, on fonda en 1857 la « Société pour la régulation de l’Unstrut de Bretleben à Nebra », dont le siège se trouvait à Artern.



Les travaux menés depuis le milieu du XIXe siècle sous la direction de Wurffbain représentaient l’intervention la plus lourde de retombées pour l’Unstrut et sa plaine alluviale jusqu’alors. Encore aujourd’hui, certains éléments du projet, bien que complétés ou fortement modifiés dans leur construction, sont toujours d’une grande importance pour la gestion de l’eau.



Entre 1857 et 1865, on fit au total 11 percées « pour drainer rapidement et sans dégâts l’eau », réduisant le cours de 3,2 km environ. (Schmidt 1933/34). Parallèlement, on élargissait et/ou approfondissait le chenal localement d’une manière notable. Un élément essentiel du projet de Wurffbain était la construction d’un canal de dérivation de 20 km entre Bretleben et Memleben (voir Carte 3 et fig. 8) Contrôlé par une écluse près de Bretleben, ce canal permet encore aujourd’hui de dévier une partie de l’eau en cas de crue (en cas de besoin jusqu’à 90m3 / s. Comme l’eau n’est reversée vers la rivière qu’à Memleben, on diminue efficacement le risque d’inondation de nombreuses villes et villages sur l’Unstrut, comme de vastes parties des communes d’Artern, Ritteburg et Roßleben. Depuis les années 1860, le canal absorbe par ailleurs les eaux drainées des superficies cultivées.





Carte 3 : extrait d’une carte de la vallée de l’Unstrut datant de 1855, avec indication du canal   (flèche) et des percées projetés (auteur : Wurffbain, 1855, archives municipales d’Artern)





Figure 6 Vue sur le canal de déviation près de Memleben : M. Deutsch, mars 2013)



Entre 1857 et 1865, on construisit des digues pour mettre les terres à l’abri d’inondations après avoir détruit des digues plus anciennes et mal construites. Pour l’assèchement du domaine appartenant à la société de mise en valeur, on mit en place un système cohérent et coordonné de drainage ( superficie des terres de la société : 19037 arpents). Selon les plans de l’ingénieur Wurrfbain, la société réalisa jusqu’en 1866




  • La régulation de 47,4 km de l’Unstrut,


  • La création de 37,1 km de canaux,


  • La régulation de 8,2 km de ruisseaux,


  • La création de 46.3 km de canaux de drainage (d’après Schmidt, 1933/34).



S’y ajoutait la construction de 55 ponts, de 101 km de digues, de 6 conduites souterraines, d’un tunnel, de 96 tuyaux d’évacuation et de 11 écluses (Schmidt, 1933/34 et Lentz, 1867). Le coût total de ce projet d’envergure s’élevait à 1257000 Mark. L’Etat prussien ne contribua que pour 12000 Mark au titre de l’amélioration de la navigabilité. Le « reste » fut essentiellement financé par des obligations et des cotisations des membres de la société  de mise en valeur.



Les résultats de ces travaux de régulation et de mise en valeur étaient notables. Déjà pendant les crues de 1860 et 1862, donc encore pendant les travaux, les digues protégèrent la récolte sur 15000 arpents (Lentz, 1867). Les rendements de foin sur les prairies augmentèrent notablement. Alors que l’arpent du finage de Ritteburg ne donnait que 5 quintaux de foin en moyenne avant les mesures de mise en valeur, le rendement monta à 32 quintaux par arpent après l’achèvement des travaux (Lentz, 1867). N’oublions pas l’amélioration des conditions de vie dans la vallée de l’Unstrut. Ainsi, l’assèchement des étangs permit de faire disparaître les fièvres paludiques et différentes épizooties, qui sévissaient jusqu’au milieu du XIXe siècle.



Ainsi, les objectifs prévus furent, pour l’essentiel, atteints. Dans l’ensemble du territoire de la Société de mise en valeur, on réussit à obtenir une protection efficace des crues estivales (Lentz,1867). L’assèchement d’une partie de la plaine alluviale jetait les fondements pour une utilisation agricole réussie qui perdure.



Phase IV (de 1870 à 1989)



La quatrième phase de l’évolution hydrologique de l’Unstrut et de sa plaine alluviale commença vers 1870. Depuis lors, on rehaussa les digues protégeant des crues estivales à plusieurs reprises ou on les transforma en digues d’hiver, ceci en raison en de crues exceptionnelles. Ainsi, en juin 1871, en février 1946 et en juillet 1956, de grandes surfaces de la plaine alluviale furent inondées (Schmidt 1933/34, Bauer 1964).



Selon l’avis des ingénieurs et de nombreux riverains, on dut en outre couper d’autres méandres et aplanir de nombreux talus, puisque ceux-ci „empêchaient  l’écoulement de l’eau“. Jusqu’en 1877, le coût de ces travaux s’est élevé à 303000 Marks supplémentaires.



Durant les décennies suivantes, des projets de construction supplémentaires furent réalisés sur l’Unstrut, comme des stations de pompage et d’autres installations techniques dans les années 1920. Afin de garantir le fonctionnement des installations techniques, on continuait à dépenser des sommes considérables. Ainsi, pendant les années 1930, le Reichsarbeitsdienst intervenait sur le canal de Bretleben à Memleben, en enlevant la boue et en aplanissant les surfaces longeant le canal. Les inondations de 1956 furent suivies d’un autre projet d’aménagements massifs près de la rivière et de sa plaine alluviale. Jusqu’en 1989, les mesures d’aménagement visaient à améliorer la protection des inondations, mais servaient aussi la politique du gouvernement de la RDA qui mettait en exergue « l’intensification de la production agricole » par des mesures de drainage dans la plaine alluviale de l’Unstrut.



Quant à la navigation pendant la phase IV, l’apogée des transports fluviaux se situait vers 1881/1882. Après l’ouverture de la ligne ferroviaire de l’Unstrutbahn en octobre 1889 et l’extension des réseaux ferroviaire et routiers, les tonnages transportés sur le fleuve reculèrent fortement. Même si on transportait encore des betteraves à sucre sur l’Unstrut dans les années 1950, la fin de la navigation fluviale était prévisible. A partir de 1967, l’Unstrut ne fut plus comptée parmi les voies d’eau utilisées par la navigation. Des installations techniques, comme les écluses de Nebra et Karsdorf furent démantelées dans le cadre de mesures de protection contre les inondations. En revanche, dès le début du 20e siècle, l’utilisation touristique de l’Unstrut devenait de plus en plus importante. On peut mentionner les sports aquatiques individuels (fig. 10) ainsi que les excursions en bateaux organisées par des entreprises. Cet usage touristique est l’une des raisons qui ont motivé le Land de Saxe-Anhalt à poursuivre, par un effort financier considérable dans les années 1990, la mise en valeur touristique de l’Unstrut, notamment par la réhabilitation d’anciennes écluses.





Figure 7:Navire de transport sur l’Unstrut près de Nebra (vers 1900) (Source: collection R. Hartmann)





Figure 8 : Station de prêt de bateau sur l’Unstrut à Laucha (vers 1935, Source Collection M. Deutsch)



Conclusion



De nombreux habitants vivant à proximité du cours de la basse Unstrut ignorent les évolutions du paysage fluvial. Inconsciemment, ils perçoivent leur région comme « existant de toute éternité », alors qu’il s’agit notamment dans le cas de l’Unstrut inférieure d’un paysage très intéressant, varié et dynamique, qui a été façonné par de nombreuses générations d’hommes. Dans de nombreux endroits, on trouve encore aujourd’hui les vestiges de ces activités, comme les écluses vieilles de plus de deux siècles, aujourd’hui réhabilitées près de Ritteburg et Freyburg, mais aussi d’anciens barrages, des moulins et des stations de pompage.



Les travaux hydrauliques sur l’Unstrut, notamment ceux du XIXe siècle, répondaient aux objectifs de l’Etat prussien, de protéger les habitants du risque d’inondation et de gagner de nouvelles terres agricoles. A commencer par les travaux du XVIIIe siècle, comme l’assèchement de l’Oder-Bruch, des projets furent réalisés sur de nombreux cours d’eau, surtout au siècle suivant, ce qu’illustrent les aménagements dans les bassins versants de la Saale, de la Hunte et des landes de Book (cf. Gudermann 2000, Bebermeier 2008/2011)



Dans l’ensemble, de nombreuses publications sont aujourd’hui déjà disponibles pour l’espace germanophone, étudiant les mesures de protection du risque de crue, de régulations, d’assèchement et d’irrigation (Vischer 2003, Bebermeier 2008). Le plus souvent, ces études se concentrent sur des cours d’eau d’une certaine taille. (Cf. Dix 1997, Bebermeier 2008) En revanche, des analyses environnementales portant sur des projets de mise en valeur réalisés font davantage défaut. (vgl. Gudermann 2000, Bebermeier 2008). Ces études sont d’autant plus nécessaires que ce n’est pas que dans le bassin versant de l’Unstrut que ces travaux furent soutenus par les pouvoirs princiers, car la mise en valeur de nouvelles terres dans les zones humides des plaines alluviales fut mise en exergue au service de la politique.



Une approche comparative nationale et internationale de l’histoire des projets et réalisations hydrauliques constitue un autre vaste champ de recherche. Ainsi, on pourrait faire apparaître les ressemblances, mais aussi les différences dans l’’évolution des cours d’eau français et allemands. Ainsi, il est clair que les travaux hydrauliques en Allemagne ont reçu de fortes impulsions en provenance de la France. Cela concerne notamment les fondements du génie hydraulique. Ainsi, les publications de l’ingénieur militaire Bernard Forest de Bélidor ont connu un grand succès jusqu’au XIXe siècle. (Bélidor, 1740-1748). Cela se manifeste par l’emprunt de nombreux termes techniques français dans le domaine du génie hydraulique.



D’un autre côté, il y a eu aussi dans la pratique un transfert des savoirs, par la participation d’ingénieurs français aux travaux dans l’espace germanique, mais aussi par des voyages d’études d’ingénieurs allemands dans l’espace européen. Ainsi, l’ingénieur Wurffbain se rendit en France, en Belgique et aux Pays-Bas à plusieurs reprises après 1851 afin de s’informer des innovations dans le domaine des rectifications de cours d’eau et de mise en valeur (Deutsch, 2005, p. 206).



Que devrait–on faire  de ce riche patrimoine ? D’un côté, on devrait à l’avenir insister davantage dans des revues d’histoire locale et la presse quotidienne sur l’héritage paysager. On pourrait aussi mettre en valeur les mérites de certains personnages (comme les ingénieurs Borlach et Wurffbain) et rappeler leur œuvre à la mémoire collective. D’un autre côté, on devrait mettre à contribution les vestiges de l’histoire paysagère plus efficacement dans la mise en valeur touristique en développant une stratégie de mise en scène thématique et de marketing. De ce point de vue, le projet touristique « Cordon bleu » (Blaues Band) représente une approche prometteuse.



Remerciements



Les auteurs remercient la Fondation fédérale pour l’environnement pour le soutien des études dans le cadre du projet



„Kulturlandschaftskorridor Saale-Unstrut: Erstellung und Umsetzung eines modellhaften und innovativen Konzepts zur Bewahrung der historischen Kulturlandschaft im Gebiet zwischen Memleben und Naumburg unter Berücksichtigung des Kulturgüterschutzes und Naturschutzes“.



Ils sont reconnaissants aux employés des Archives du Land de Thuringe, à Gotha, des archives du Land de Saxe-Anhalt (Magdeburg et Merseburg), du museau du château de Neuenburg (Freyburg/Unstrut) et des archives municipales d’Artern et de Muhlhausen. Nous enquêtes ont été soutenues par de nombreux érudits locaux, en particulier Madame R. Hartmann (Nebra), la famille Schmid à Burgscheidungen et Monsieur A Schmölling (Artern).



Sources et bibliographie



Bauer, L. (1952): Hydrologie des Flussgebietes von Unstrut und Gera unter besonderer Berücksichtigung der Hochwassererscheinungen und des Einflusses von Kahlschlagflächen auf die Wasserführung, Inaurugal-Dissertation, Mathematisch-Naturwissenschaftliche Fakultät der Friedrich-Schiller-Universität Jena, 76 p., zuzüglich Anlagen.



Bauer, L. (1964): Wasserwirtschaftliche Einflüsse auf Wasserhaushalt, Abflussverhalten und Landschaftsgefüge an Beispielen aus Thüringen. In: Wasserwirtschaftliche Veröffentlichungen des Deutschen Instituts für Länderkunde, Neue Folge, Heft 21/22, S. 523-540, Leipzig.



Bebermeier, W. (2008): Wasserbauliche Maßnahmen in Norddeutschland und ihre Folgen – Von den ungünstigen Wasserverhältnissen an der Hunte (1766-2007). Göttinger Geographische Abhandlungen, Heft 118, Göttingen: Goltze Druck GmbH & Co. KG.



Bebermeier, W. (2011): Wasserbauliche Maßnahmen an der Hunte zwischen 1766 und heute. In: Denzer, V., Klotz, S. & Porada, H. T. (Hrsg.): Die historisch-landeskundliche Bestandsaufnahme und Darstellung von Gewässern und Gewässernutzungen. forum ifl, Heft 15, S. 53-73, Leipzig: Selbstverlag Leibniz-Institut für Länderkunde e. V.



Bebermeier, W., Hennig, A.-S. & Mutz, M. (2008): Einleitung: Wasser in umweltgeschichtlicher Perspektive. In: Bebermeier, W., Hennig, A.-S. & Mutz, M. (édit.): Vom Wasser – Umweltgeschichtliche Perspektiven auf Konflikte, Risiken und Nutzungsformen, S. 1-16, Schriften der Deutschen Wasserhistorischen Gesellschaft (DWhG) e.V., Sonderband 4, Norderstedt: Books on Demand GmbH.



Bélidor, B. F. de (1740-48): Architectura hydraulica. Oder: Die Kunst, Das Gewässer Zu denen verschiedentlichen Nothwendigkeiten des menschlichen Lebens zu leiten, in die Höhe zu bringen, und vortheilhaft anzuwenden. […] Band I und II, Lieferung 1-24, Augsburg.



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Pinckert (1831): Die schiffbare Unstruth oder Aufklärung über die Schiffbarmachung der Unstruth als Vehickel des innern Verkehrs und als Mittel zu Verminderung der Ueberschwemmungen des Unstruth = Thals, Sangerhausen.



Schmidt, E. (1933/34): Aus der wasserwirtschaftlichen Vergangenheit des Unstruttales, In: ARATORA (AF), 23 et 24, cahiers 12, p. 3 - 55, Artern.



Schmölling, A. & Schmölling, K. (1994): 200 Jahre schiffbare Unstrut 1795 – 1995. Artern: Druckerei Möbius.



Schwarz, B. & Faist, H. (1993): Historisches vom Strom – Schiffahrt auf Saale und Unstrut – Personenschiffahrt – Güterschiffahrt, Band VIII. Duisburg: Verlag Krüpfganz.



Vischer, D. L. (2003): Die Geschichte des Hochwasserschutzes in der Schweiz. Von den Anfängen bis ins 19. Jahrhundert. Berichte des Bundesamtes für Wasser und Geologie (BWG), Serie Wasser, Nr. 5, Bern.



Wurffbain, H. (1855): Die Regulirung der Unstrut von Sachsenburg bis Nebra und Melioration des Unstrutthales daselbst als Mittheilung an die betheiligten Grundbesitzer, geschrieben zu Erfurt im Monate April 1855 von Wurffbain, Königl. Preuß. Baurathe und Director der Meliorations=Societät der Boker=Heide in Westfalen.



Wurffbain, H. (1871): Memorandum als Ansprache an die Mitglieder der Societät zur Regulirung der Unstrut, beziehungsweise zur Melioration des Unstrutthals von Heldrungen=Bretleben bis Nebra, Arnstadt.



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