Article
n°4 mai 2014 : Géographie historique de la Lotharingie:
Du territoire d’entre-deux à la limite : l’espace lorrain à l’épreuve de l’Etat, XVIe-XVIIIe siècles
Par Laurent Jalabert, maître de conférences en histoire moderne à l’Université de Lorraine-Nancy. Il dirige également la revue les Annales de l’Est. Dans le cadre de recherches sur les frontières, ses travaux actuels portent sur la question des diverses empreintes laissées par la présence de l’armée et la guerre dans l’espace nord-est de la France.
Résumé : L’Etat et la frontière forment un couple de plus en plus étroitement lié à compter de la fin du Moyen Âge. La frontière, que l’on cherche de plus en plus à définir clairement dans l’espace, contribue à l’affirmation de l’identité de l’Etat. La Lorraine ducale et le royaume de France travaillent respectivement à mieux définir leurs prérogatives régaliennes au sein de frontières que l’on veut de moins en moins contestables. Pourtant, c’est l’affrontement de deux logiques qui se dévoile à compter du XVIe siècle, entre deux échelles, macro-et micro étatiques, dans un espace ponctué de « scories » territoriales. Dans le présent article, il s’agit donc de montrer les tentatives de l’Etat ducal lorrain de développer un Etat reconnu et protégé internationalement alors que les intérêts stratégiques et diplomatiques français visaient à l’assimilation d’une marge déjà fortement ancrée dans sa sphère culturelle. La mainmise française sur l’espace lorrain, définitive au XVIIIe siècle, ouvre un nouveau champ de définition des frontières de l’Etat, d’où une relecture de la vision de l’espace de la monarchie française à l’aide des nouveaux outils de cartographie. La mise en œuvre des limites devient le moteur de l’élaboration des frontières parce que les visions stratégiques ne priment plus ; dès lors, la volonté de faire disparaître les motifs de contestations, souvent d’origine féodale, semble dominer la dynamique des échanges et annoncer la fin des enclaves et des condominiums. Pourtant, le modèle étatique français se heurte à un autre modèle, celui du Saint-Empire et de la principauté.
Mots-clés : frontières, Etat, identité, territoire, limites, enclaves, cartographie, France, espace lorrain, Saint-Empire.
Abstract : The State and the border form a more and more closely linked couple as from the end of the Middle Ages. The border, for which we try more and more to define clearly in the space, contributes to the assertion of the identity of the State. The duchies of Lorraine and Bar and the kingdom of France work respectively to define better their kingly privileges within borders which we want less and less doubful.
Nevertheless, it is the confrontation of two logics comes to light as from the XVIth century, between two scales, macro-and micro State, in a space punctuated with territorial "scorias". In the present article, it is thus a question of showing the attempts of the ducal State of Lorraine to develop a recognized and protected State internationally while the French strategic and diplomatic interests aimed at the assimilation of a margin already strongly anchored in its cultural sphere. The French control of the Lorraine space, definitive in the XVIIIth century, opens a new field of definition of the borders of the State, where from a review of the vision of the space of the French monarchy by means of the new tools of cartography. The implementation of the limits becomes the engine of the elaboration of the borders because the strategic visions do not dominate anymore ; from then on, the will to remove the motives for challenges, often for feudal origin, seems to dominate the dynamics of the exchanges and to announce the end of the enclaves and the condominiums. Nevertheless, the French state model comes up against another model, that of the Saint empire and the principality.
Keywords: borders, State, identity, territory, limits, enclaves, cartography, France, space of Lorraine, Holy Empire
L’espace lorrain, situé aux confins tant de l’Etat royal français en construction que d’un Empire soumis à une reconfiguration plus allemande à compter de la fin du Moyen Âge, a été présenté comme une terre « d’entre-deux » pour reprendre une expression connue. Celle-ci a le mérite de donner à réfléchir sur un ensemble territorial complexe qui peut apparaître, au regard des forces centripètes françaises de l’époque moderne, comme une relique désuète de conceptions politiques passées illustrée par la principauté (1). Bien évidemment, vu du Saint-Empire, la structuration territoriale des « Lorraines », l’intrication et l’articulation entre terres de souverainetés différentes ne pose pas de souci : la carte politique de la Lorraine, au début du XVIe siècle, n’est jamais qu’à l’image du reste de l’Empire. Prenons ainsi garde de ne pas envisager, avec un point de vue trop français et jacobin, l’espace d’Empire et ici lorrain comme un ensemble non fonctionnel et nécessairement voué à la disparition : des structures étatiques différentes ont favorisé un autre équilibre politique que celui connu en France, voire religieux comme dans le Saint-Empire. Cependant, c’est bien une double dynamique qui vient remettre en cause une précaire stabilité de l’espace lorrain. La première relève de l’Etat lorrain – ducal – lui-même, petit Etat qui cherche à affirmer son identité et son indépendance en travaillant à mieux maîtriser un espace contenu entre Champagne, Pays-Bas et Franche-Comté espagnols et autres terres d’Empire allemandes. La seconde dynamique est celle de la monarchie française, animée par la volonté de mieux maîtriser ses frontières. Au regard de cette double réalité, on peut analyser les diverses manières d’envisager l’espace lorrain dans le cadre des constructions étatiques de l’époque moderne. Evoquer cela, c’est évidemment réinterroger la construction frontalière en analysant le rapport principauté/Etat et la dynamique souveraineté/Etat dans sa rupture avec les conceptions féodales de la frontière. Il s’agit dès lors de chercher à comprendre la dynamique spatiale de l’Etat dans un espace aux frontières entremêlées, avec ses continuités et ses ruptures en trois siècles
I. L’impossible construction territoriale ducale.
La construction étatique lorraine s’affirme nettement à compter du règne de René II (1473-1508) qui devient comte de Vaudémont (1470) puis duc de Lorraine (1473) et enfin de Bar (1480) (3). Celui-ci doit déjà compter avec les velléités de Louis XI mais une dynamique spatiale est engagée avec l’union définitive des deux couronnes ducales après 1477 et avec à nouveau l’incorporation du comté de Vaudémont. René II reprend à son compte les affirmations d’indépendance de ses prédécesseurs, en particulier de Charles II de Lorraine qui, à la fin du XIVe siècle, dans les différends autour du Barrois mouvant, souligne qu’il ne reconnaît nul souverain : pour cette raison, il s’appelle « marchy en denotant que ceux qui marchisent à luy ne sont que ses voisins » (4). Du côté de l’Empire, René II cherche à affirmer son indépendance. Lors de la diète de Worms qui aboutit en 1495 à la paix perpétuelle, il refuse de prononcer la formule des membres de l’Empire : « mes prédécesseurs n’en ayant jamais fait de semblable et la Lorraine ne relevant pas de l’Empire, je ne dois l’hommage que pour les fiefs qui en dépendent » (5).
Fort de ces affirmations souveraines, René II est bien tenté par un agrandissement territorial que nous pourrions traduire, avec notre regard contemporain, comme une mise en cohérence spatiale, ce qui n’est qu’en partie le reflet de la réalité. Si Louis XI rappelle rapidement à la réalité René II à l’égard de l’héritage bourguignon, pour lequel le duc a nourri quelques espoirs vers le nord. Géographiquement, la seule expansion territoriale envisageable est en direction du Luxembourg et des Trois-Evêchés. A l’égard du duché de Luxembourg, René profite de l’agitation de la noblesse et de prétendants au trône pour se placer en protecteur de la fille de Charles le Téméraire, Marie de Bourgogne : il y a même un projet de mariage de la fille du duc de Bourgogne avec Nicolas de Lorraine mais brisé par la mort de ce dernier en 1473. Toutefois, si René songe bien profiter de ce passif pour ses ambitions territoriales, le mariage de Marie de Bourgogne avec Maximilien de Habsbourg, achève de briser ses velléités d’expansion sur le Luxembourg. René est obligé de de se contenter d’obtenir Damvillers et trois autres places (Chauvency, Virton, partie de Marville) qui contribuent à fortifier sa frontière nord-ouest. C’est tout ce qui lui reste de ses ambitions sur l’héritage de Charles le Téméraire.
Les Trois-Evêchés, au territoire diffus à l’exemple du temporel de celui de Metz, lui offrent d’autres perspectives territoriales et économiques (en particulier avec les salines). Les affaires avec les Trois-Evêchés, particulièrement avec Metz, sont cependant complexes et ces villes libres se méfient du prince lorrain. Nicolas de Lorraine tente d’assiéger Metz en 1473, siège au cours duquel il trouve d’ailleurs la mort. Ces enclaves d’Empire, éclatées dans l’espace lorrain, qui de toute manière ne peuvent que difficilement tomber par la force en raison de leur statut au sein de l’Empire, sont soumises à d’autres tentatives de maîtrise : le développement d’unions personnelles entre la famille ducale et les sièges épiscopaux, d’une clientèle, ainsi que de la patience. En 1484, il parvient à faire attribuer le siège épiscopal messin à son grand-oncle Henri de Lorraine-Vaudémont, puis à son fils Jean de Lorraine, coadjuteur en 1500 puis évêque de facto en 1505. Celui-ci obtient également les sièges de Verdun et de Toul. Le Saint Siège soutient le duc de Lorraine et de Bar dans son positionnement géopolitique : la nomination du futur Cardinal de Lorraine, en 1581, comme légat des duchés et les Trois-Evêchés prend une résonance particulière dans le contexte lorrain. Cependant, à l’égard de ces terres d’Empire, l’annexion reste inenvisageable, surtout pas après la diète de Worms de 1495 : seule une patiente mais précaire insertion dans la sphère d’influence ducale, au travers des évêques lorrains, est en cours mais progressivement mise à mal par la France après 1552.
Toutefois, comme l’indique fort justement L. Dauphant, le premier succès de René est bien la survie (6). Les duchés ont échappé à l’absorption française – rappelons que Louis XI occupe le Barrois jusqu’en 1480 -, aux menaces intestines et à l’éclatement : si l’union des duchés est un fait, elle n’est pas naturelle, comme en témoignent les nombreuses guerres et le positionnement des Etats du Barrois face à ceux de Lorraine. Le marquisat de Pont-à-Mousson, au nord de Nancy, appartenant au duc de Bar, a longtemps été source de querelles. D’ailleurs, la structure même du duché de Bar, divisé entre Barrois mouvant et non-mouvant, a d’emblée constitué une faiblesse structurelle dans la construction de l’Etat lorrain. En effet, une partie des terres du duc sont de la suzeraineté française : ce qui ne pose pas de souci à l’égard de l’Empire en pose avec la France et ses visées géostratégiques.
Quoi qu’il en soit, à compter de René II, une dynamique de structuration de l’Etat, par le territoire et les institutions, est en marche. Il détient en reprise en 1499 à Olry de Blâmont, évêque de Toul jusqu’à la cession définitive en 1560, le comté du même nom et Deneuvre, s’assurant ainsi des verrous vers les passages Vosgiens. Sous Antoine Ier, les seigneuries de Chatel-sur-Moselle et de Bainville-aux-Miroirs (7), d’abord à titre conservatoire en 1533 puis définitivement début 1544, passent au duc, lui conférant un contrôle plus ferme sur la Moselle supérieure et le Maadon. Plus à l’est, Antoine profite de la disparition des comtes de Moers-Sarrewerden pour mettre la main sur Bouquenom et Sarrewerden (Sarre-Union actuellement), ce qui donne lieu à un long procès devant la Chambre de justice impériale jusqu’en 1629, afin de contrôler le passage et le cours de la Sarre supérieure.
C’est surtout sous le règne de Charles III de Lorraine que la politique territoriale prend une mesure supérieure. Le duché de Lorraine est constitué de deux ensembles, un autour des bailliages de Nancy, des Vosges, de Vaudémont, de Châtel, d’Epinal, l’autre étant le bailliage d’Allemagne mais relié au reste du duché par un seul passage sur la Seille, entre Amance et Château-Salins. Charles III acquiert, au contact de ce bailliage d’Allemagne, le comté de Bitche (1571) ainsi que les seigneuries de Homburg et de Saint-Avold (1581). Vers l’est, il obtient la terre de Lixheim en 1583 – en concurrence avec la France – et la même année, il rachète la terre de Phalsbourg, s’assurant un autre point fortifié en regard de l’Alsace, complément aux autres points fortifiés de Moyenvic et de Marsal acquis au début des années 1570 grâce à l’entremise de l’évêque de Metz. La présence d’évêques lorrains permet en effet au duc d’envisager sa politique territoriale à l’aune du temporel des évêchés, par achats ou par échanges sur des seigneuries mixtes. Sur l’évêché de Metz sont encore gagnés Sarralbe et Sarrebourg (1562) et la seigneurie de Turquenstein (1599). A l’ouest, c’est la seigneurie d’Hattonchâtel qui est acquise sur l’évêché de Verdun (1546), Clermont-en-Argonne (1564) et la châtellenie d’Apremont, laquelle est achetée au duc de Nevers, en 1579. Avec Clermont, le duc obtient un point de défense important aux portes de la forêt d’Argonne. De même, pour un peu de temps en réalité, le duc obtient par achat la place de Jametz (1596).
Ces acquisitions permettent de renforcer la maîtrise du duché de Bar. Constitué du Barrois non mouvant, sans continuité territoriale, entre une ligne Foug-Longwy et Meuse, les prévôtés de Dun-sur-Meuse et de Stenay assurent de fait des positions essentielles sur la Meuse comme le montrent les événements militaires de la Ligue et du XVIIe siècle. De Souilly à Montiers-sur-Saulx, le cœur du Barrois mouvant, est constitué essentiellement du bailliage de Bar, sans réelle défenses. Plus au sud, appartenant au duché de Bar mais isolé et enserré entre la Champagne et le duché de Lorraine, le Bassigny, autour de Bourmont et Lamarche, comprenant la place majeure de La Mothe. A cet ensemble, il faut adjoindre la seigneurie de Joinville, à la suite de l’héritage Vaudémont, avant son passage aux Guise-Lorraine, mais qui n’est pas intégrée en propre aux duchés.
Au regard de cette réalité territoriale, qu’en est-il de l’Etat lorrain et de ses frontières au XVIe siècle ? Déjà, chose important, le pluriel conserve tout son sens géographique car la frontière se décline en regard de divers voisins, Français, « Allemands », Sedanais, « Espagnols », et ce à des échelles diverses, qu’il s’agisse d’un espace étiré – songeons au Barrois et au cours de la Meuse – à l’échelon du ban paroissial, voire d’une partie seulement du village dans certains cas. Il n’est dès lors pas question d’évoquer une politique territoriale structurée et cohérente dans l’espace. Les avancées et redéfinitions frontalières déjà évoquées plus haut s’effectuent au coup par coup, au gré des opportunités, telles celles offertes par la présence de « Lorrains » sur les sièges épiscopaux associée associées aux aléas des lignages seigneuriaux. Opportunité aussi dans l’achat de points fortifiés importants, comme Phalsbourg et Lixheim, deux villes récentes fondées pour des calvinistes : les besoins financiers de comte palatin de Palatinat-Veldenz le contraignent à la vente. La lecture des relations avec les seigneurs d’Empire indique ponctuellement la volonté d’une cohérence territoriale, mais à une échelle limitée : les achats progressifs des parts des co-seigneurs du condominium de Fénétrange se jouent sur des décennies et pour un micro-territoire. Ailleurs, dans d’autres seigneuries partagées, rien ne se passe et la situation perdure jusqu’au XVIIIe siècle. Cela révèle un trait essentiel de la manière d’appréhender la frontière de la part du duc de Lorraine, qui diverge fortement de celle de la France. Du point de vue de la capitale ducale, la frontière est à gradients. Il y a ce qui relève de la pleine souveraineté ducale, d’autant plus affirmée avec le traité de Nuremberg (1542), et ce qui relève des droits seigneuriaux, ensemble beaucoup plus diffus et qui fait s’enchevêtrer Lorraine et Empire dans des ensembles pour nous complexes et sans cohérence. Le duc de Lorraine, peut-être était-ce une faiblesse, est résolument d’Empire dans sa conception étatique : le droit seigneurial s’accommodait de l’émiettement, pas la souveraineté. En fait, à bien y regarder, c’est comme si les frontières orientales, complexes, sont déterminées en dehors d’une quête de souveraineté alors que les frontières occidentales nécessitent une affirmation plus nette de la souveraineté car c’est là qu’elle est la plus contestée.
De fait, l’entreprise étatique lorraine la plus construite se situe à l’ouest, en regard de la France. Le Barrois mouvant occupe l’attention du monarque lorrain car sa souveraineté y est mise à mal. Le temps des guerres de religion et de la Ligue, interprété comme un temps d’affaiblissement du voisin français par Nancy, favorise les entreprises lorraines au nord-ouest, contre la principauté de Sedan, avec une Meuse septentrionale que l’on veut bien envisager comme frontière. L’intérêt que suscite alors Stenay, comme passage essentiel sur cette partie du fleuve démontre les visées stratégiques croisées des Français et des Lorrains, appuyés par l’empereur. Le duc Antoine a été contraint, en 1541, de céder la ville à François Ier mais au traité du Cateau-Cambrésis, Charles III recouvre la place ; en 1592, le duc de Bouillon s’empare de Stenay mais Charles III retrouve en 1595 la ville (traité de Saint-Germain-en-Laye). Dès lors, les travaux de bastionnement se précisent dans cette cité alors qu’à l’extrême sud de la frontière avec le royaume, La Mothe focalise également l’attention des deux partis en lisse (8).
Ainsi, le XVIe siècle consiste en une série de renforcements des marges ducales, en grande partie opportunistes, avec l’établissement de points fortifiés plus ou moins importants, garants d’une cohésion territoriale progressivement mise en place et s’appuyant sur des institutions et des lois en mutation en vue de renforcer l’Etat lorrain. Pourtant, il faut compter avec le puissant voisin français. L’espace lorrain est en effet vu, du côté français, comme un ensemble de territoires à maîtriser, voire à absorber, pour d’évidentes raisons stratégiques connues. D’une part, ce morceau de Lotharingie est un tampon contre d’éventuelles invasions avant un espace champenois ouvert. La dernière invasion de Charles Quint, en 1552 et sa victoire tactique inexploitée a montré tout l’intérêt de contrôler les côtes de Bar ainsi que le cours de la Meuse, et repousser cette frontière au-delà du Barrois mouvant. D’autre part, si cette notion de « tampon » stratégique tend à diminuer en importance avec le développement de l’armée française au XVIIe siècle, une meilleure emprise sur les Trois Évêchés, une occupation durable des duchés et la maîtrise de cet espace lotharingien donnent assurément plus d’assurance à la monarchie qu’une francophilie douteuse du duc. La domination d’un espace encore largement vacuolaire est prioritaire pendant près d’un siècle, même si l’idée de l’absorption n’est pas écartée, comme en témoignent des actes des années 1630 et, plus tard, les Réunions.
Le XVIIe met ainsi à mal le positionnement politique des ducs de René II à Henri II, mettant fin au rêve d’un Etat souverain indépendant. Autant dire que la question des frontières des duchés lorrains est devenue une affaire française, avant même l’intégration officielle de 1766.
II. La souveraineté et la frontière.
« Mes neveux […] doivent ménager le roi de France plutôt que tout autre prince du monde. On les ruinera infailliblement dès qu’ils prendront ouvertement des intérêts contraires aux siens. La Lorraine sera perdue, avant que l’Empereur et les troupes du roi d’Espagne aient commencé de marcher au secours » (9)..
Cet avis de la grande-duchesse de Toscane ne parle certes pas de souveraineté mais il évoque toutefois fort bien l’idée de l’aire d’influence française, soulignant que les duchés ne sont plus de facto terres liées à l’Empire et surtout que leur souveraineté et indépendance tient moins à une éventuelle protection militaire qu’à la volonté de la France. Si la souveraineté est inhérente à l’idée d’Etat, celle du duc de Lorraine a été mise à mal par la France au cours d’étapes successives dont les racines sont doubles et résonnent en deux dates, 1301 et 1542. Le traité de Bruges redessine une frontière France-Empire le long de la Meuse alors que le traité de Nuremberg désengage en partie l’Empire de l’espace des duchés, ouvrant le champ des possibles à la France. De fait, les affirmations de souveraineté française et lorraine se rencontrent et s’affrontent autour du Barrois mouvant puis ailleurs. Pour les comprendre, il faut admettre la primauté, aux yeux des Français, de la juridiction sur la mouvance et la hiérarchie féodale ainsi que sur la fiscalité.
C’est dans cette lecture juridique de la définition frontalière qu’il faut lire des actes qui démontrent la réalité de la souveraine lorraine du côté de l’occident et la culture d’une indépendance affichée pour le Barrois mouvant comme l’ont déjà montré d’autres avant (10). L’histoire du Barrois mouvant est ancienne : à compter du traité de Bruges (1301), le duc de Bar – comte à l’époque – doit hommage au roi de France pour ses terres situées à l’ouest de la Meuse définie comme le Barrois mouvant mais avec des incertitudes géographiques, comme pour le Clermontois. La conséquence est de taille : sur ce Barrois mouvant, la suzeraineté est française, les appels pouvant aller au Parlement de Paris ; le défaut d’hommage peut engendrer la commise du Barrois mouvant, arme employée par Louis XIII contre Charles IV. Cette suzeraineté française a aussi pour conséquence de constituer un moyen pour la monarchie d’affirmer l’idée de sa « protection » sur le Barrois mouvant et, par extension, sur les duchés, dans une lutte avec la suzeraineté impériale dans une zone marginale pour cette dernière.
Déjà, au début de l’année 1539, un conflit de juridiction se fait jour autour d’assises à Gondrecourt, poussant François Ier à donner des lettres patentes de Romilly (avril 1539) rappelant l’autorité royale sur le Barrois mouvant (11). Peu de temps après, l’affaire du mariage de l’héritier d’Antoine Ier, François de Lorraine, avec Chrétienne de Danemark, nièce de Charles Quint, fait grand bruit à la cour de France car cette union rompt la dynamique de protection française. L’union a été arrangée entre le duc et l’empereur en décembre 1540 mais Antoine est alors obligé de céder à nouveau à la pression française (12) dans un contexte international qui lui échappe : le 22 avril 1541, il est obligé de reconnaître en des termes assez nets que lui et ses successeurs ne peuvent jouir de leurs droits de souveraineté sur le « Barrois » que par l’hommage dû au roi de France :
« Sçavoir faisons, que nous voulans démontrer la volonté & affection que nous avons eu au Roy notredit Souverain Seigneur, & à sa Couronne […] & voulant faire reconnoissance du devoir, subjection & obéissance que nous y devons, sommes tenus & obligez, nous avons promis & promettons par ces Présentes […], suivant lesdites reprises, & sous la fidélité & obéissance que nous devons à Sa Majesté, & à sadite Couronne, pour raison denotre dit Duché de Bar […] ; & encore luy bailler, faire bailler passage par tous nos Pays, Terres & Seigneuries pour les gens de guerre qu’il voudroit faire passer ou repasser pour son service par nosdits pays, ou aucuns d’iceux ; sans préjudice des droits du Saint Empire » (13).
On remarque que le texte ne mentionne pas le Barrois mouvant mais le duché de Bar… La reconnaissance va loin, jusqu’à céder sur le passage de troupes ; on sent que la dernière phrase est un trompe l’œil pour sauver la face du duc en regard de l’empereur. C’est dans ce contexte qu’il faut lire traité de Nuremberg (1542). Peu de temps après, Antoine doit à nouveau reconnaître le 15 novembre 1541 ne « prétendre ne acquérir lesd. Droits de Régale & de Souveraineté en notredit Duché de Bar, & choses tenues de la Couronne, ne iceux nous compéter ne appartenir, mais en jouir par le moyen de la grace & permission du Roy » (14). Les Valois peuvent ainsi pressentir les duchés comme étant dans leur zone d’influence, voire davantage. D’ailleurs, cette protection s’est exprimée de manière flagrante lors du « voyage d’Allemagne » du roi Henri II, la destitution de la régente Chrétienne de Danemark au profit du comte Nicolas de Vaudémont et de la prise en main de l’éducation française du jeune Charles III.
Revenu dans ses États, le duc se doit de marquer les limites de cette présence française malgré les liens familiaux et personnels tissés avec les Valois. La pression française est bien réelle sur la frontière et le Barrois mouvant(15), comme l’illustre l’affaire Claude de La Vallée, ancien prévôt de Clermont, au cours de laquelle le Parlement de Paris est sollicité comme juridiction d’appel d’une sentence de Saint-Mihiel (16). L’une des conséquences de ce long procès, c’est un Parlement qui demande, en 1548-1549, à Chrétienne de Danemark et Nicolas de Vaudémont de prouver sur pièces leurs droits régaliens sur les terres du Barrois mouvant, en particulier sur le Clermontois (17). De nouvelles discussions autour des droits du Barrois mouvant ont lieu en 1551, à Sainte-Menehould et à nouveau en 1563 : le point d’achoppement n’est pas la mouvance elle-même mais bien le fait de la plaidoirie devant le bailliage de Sens – vœu français – refusée par les Lorrains qui veulent un appel direct au Parlement de Paris. Charles III, malgré ses liens personnels avec la France, n’est pas enclin à céder en toutes choses (18). S’il reconnaît l’appel au Parlement de Paris, il récuse le passage par des juridictions inférieures et, jusqu’en 1569, les choses en restèrent à des déclarations communes. Surtout, il cherche à affirmer publiquement son autorité souveraine sur le Barrois mouvant. Lorsque Charles IX vient à Bar pour le baptême d’Henri (19), le grand aumônier du roi, Jacques Amyot, arguant d’une ancienne coutume, fait libérer la prisonnière de la Tour Jurée de la Ville haute. Charles III, voyant sa souveraineté mise à mal, obtient la signature par Charles IX le 9 mai 1564 d’un acte qui ne peut prétendre remettre en cause la régale du duc…ni les droits de la couronne de France dans le Barrois (20).
Afin d’éclaircir ces désaccords sur le Barrois mouvant, au tournant des années 1560-1570, le duc entreprend deux choses. D’une part, il cherche à renforcer l’identité lorraine par la rédaction des coutumes. D’autre part, il négocie avec le roi de France afin d’éclaircir les affaires du Barrois mouvant et surtout d’affirmer ses droits, suite aux relances de Charles IX (21). En ce qui concerne la rédaction des coutumes, il s’agit bien d’homogénéiser par bailliage le droit afin de limiter les intrusions des officiers du roi : en effet, pour la rédaction de la coutume du bailliage royal de Sens (1555), Charles III a été convoqué mais son procureur refuse de s’y rendre car cela aurait été reconnaître la soumission du Barrois mouvant à une coutume française. En cela, Charles III reprend une initiative de René II. La coutume rédigée en 1507 n’a pas été validée et subsiste alors, pour le duché de Bar, les coutumes de Bar, du Bassigny, du Barrois mouvant, de Saint-Mihiel, du Clermontois. En 1571, les États du Barrois mouvant sont convoqués mais le duc ne valide pas à nouveau ; une nouvelle convocation est effective pour octobre 1579 au château de Bar et le 14 du même mois, Charles III homologue la rédaction de la coutume. Du côté français, la réaction ne se fait pas attendre : le procureur-général du roi cite alors le duc devant le Parlement de Paris indiquant que les coutumes ne pouvaient être rédigées que « par commandement et autorité du Roy » (22). L’affaire ne va cependant pas plus loin que l’audition du procureur du duc mais les tensions et prétentions réciproques ont été clairement affichées (23).
Il s’agit ainsi pour le duc de clarifier la question du Barrois mouvant. Les négociations entreprises dès 1570 aboutissent au Concordat de Boulogne, le 25 janvier 1571 (24). Le texte ne réglait rien dans les faits, en raison de l’attitude des officiers du roi et Charles III s’efforça d’obtenir des précisions, ce qu’il obtient par des lettres patentes les 13 février 1573, 8 août 1575 et 3 mai 1578, sans meilleures applications. Par conséquent, on comprend mieux l’affermissement de la frontière juridique entre les Barrois mouvant et non mouvant, entre autres avec l’élévation des Grands Jours de Saint-Mihiel au rang de cour permanente (8 octobre 1577), affirmation de la souveraineté ducale. On saisit dès lors bien mieux pourquoi la France supprime les Assises des grands bailliages et les Grands Jours de Saint-Mihiel (1633-1635) pour les remplacer par un Conseil souverain (1635-1637) puis par le Parlement de Metz à partir de 1637 (25)
Cette question du Barrois mouvant est réactivée à bon escient sous Louis XIII, contre Charles IV de Lorraine, et constitue un moteur important dans la remise en cause même de l’existence des duchés en tant qu’entités politiques indépendantes. Les velléités françaises se tournent désormais plus nettement vers l’annexion au royaume, donc à repousser la frontière sur les marges impériales et espagnoles. Richelieu, dans sa lutte avec l’Espagne, ne peut plus laisser un allié obligé et instable, servir de potentielle zone de passage et de ravitaillement pour les troupes ennemies, voire de base de départ à d’éventuelles attaques ; de plus, l’accès au Rhin et la nécessité de s’assurer les passages sur la Moselle et la Sarre, vers l’allié trévirois, oblige le cardinal ministre à l’occupation mais aussi l’assimilation politique des duchés (26). Les différents traités offrent certes, a priori, des garanties comme le libre passage de troupes et même une aide militaire mais concrètement bien trop aléatoires.
Les événements n’ont toutefois pas favorisé l’annexion immédiate mais la souveraineté lorraine a été fortement ébranlée à compter du règne de Charles IV. La frontière du royaume de France est désormais – de facto- repoussée vers l’Est. La longue occupation française, malgré la brève période de 1663 à 1670, a jeté les fondements définitifs de la mainmise française, profitant des clauses du traité de Nuremberg (1542) (27) et du contexte politique propre à l’Empire avec notamment le grignotage des Trois-Evêchés.
Si la prise des trois villes tutélaires de Toul, Verdun et Metz date de 1552, la réalité de la mise en œuvre d’une administration française ne peut se lire réellement qu’à compter du premier tiers du XVIIe siècle, avant l’officialisation du transfert de souveraineté en 1648, aux traités de Westphalie. L’installation d’un intendant de police, justice et finance en 1637 à Metz en un révélateur. Le fait est connu : les terres évêchoises mitent littéralement les duchés et offrent une matrice géographique essentielle à l’expansion française. La mise en œuvre du concordat de Bologne, mettant fin du concordat germanique, permet la constitution d’un clergé plus favorable à la France, avec des évêques acteurs de la domination française (28). Celle-ci s’exprime par deux outils : le Parlement et la diplomatie. Le Parlement de Metz est mis en place en 1633 et voit son ressort varier au gré de l’occupation française du voisinage lorrain : dès sa création, il intègre une partie du Bassigny, soit dans le Barrois mouvant. En 1635, c’est au tour du bailliage d’Allemagne et en 1637 du duché de Lorraine et de la partie non-mouvante du duché de Bar (à nouveau de 1670 à 1697). La mise en place d’un intendant français achève de donner l’image d’une assimilation.
L’expression de la souveraineté française passe ainsi par le Parlement, en contre-point de la Cour souveraine de Lorraine et aussi de la Chambre de justice impériale de Spire. La mise en œuvre de la politique des réunions, qui dépasse le seul cadre ducal, montre bien l’importance du Parlement de Metz dans l’affirmation de la souveraineté française, de l’emprise de l’Etat royal sur l’espace Meuse-Rhin, à des degrés différents. Certes, les moyens employés relèvent du droit féodal et de la vieille idée de la protection : au printemps 1633, l’envoyé français à Nancy, Jean de Guron, a entre autres pour mission de rappeler qu’en vertu du droit féodal, la France doit assurer son devoir de protection en cas d’attaque... suédoise (29) ! La conséquence est l’affirmation d’une suzeraineté française, par exemple sur des terres d’Empire, mais aussi d’une suzeraineté qui prend le visage d’une souveraineté dans les duchés. Plus tard, après la disparition de Charles IV, son neveu Charles V (1675-1690) de Lorraine se voit ainsi dénier son titre ducal par Louis XIV.
L’action diplomatique complète pleinement le rôle joué par le Parlement. Pour ne parler que de ce qui touche les duchés, une évolution se fait jour entre les débuts et la fin de la première occupation française. Les traités de Laneuville et de Charmes (septembre 1633) ne mettent pas en cause la souveraineté ducale sur la Lorraine et la saisine du Barrois est vue comme temporaire. Comme le souligne D. Nordman, « le traité ne modifie donc ni les droits de souveraineté ni les limites » (30). Le traité des Pyrénées franchit une étape supplémentaire, certes non appliquée en raison du refus du duc Charles IV d’y adhérer : le duché de Bar devait être pleinement incorporé au royaume, de même que des verrous meusiens (Clermont, Stenay, Dun et Jametz). Si l’on ajoute la cession espagnole de Montmédy et de Thionville et de son plat pays, l’idée de l’étouffement est claire, sans môle de résistance militaire possible, au regard des places perdues, de la disparition de La Mothe (1645) et du démantèlement de la place de Nancy.
Le traité de Vincennes (28 février 1661) restitue à Charles IV ses duchés amputés des villes citées précédemment auxquelles s'ajoutent Sierck (et trente villages), la terre de Gorze qui assure le lien entre Verdun et Metz, Sarrebourg et Phalsbourg avec la route d'Alsace. Le premier démantèlement de Nancy est maintenu et effectué à partir de mai 1661. La création de la « route d’Alsace » est ainsi effective. Corridor créé à partir du temporel des évêchés et de la cession de villages lorrains, elle est sous la souveraineté entière du roi de France et « aura de largeur demie-lieue de Lorraine en tous endroits », soit environ deux kilomètres. Cette route participe pleinement au mitage de la souveraineté ducale dans l’espace lorrain, tronçonnant littéralement en deux blocs non reliés, à moins d’en demander le passage à la France. À cela s’ajoute le contrôle la Meuse de Verdun à Sedan, la Moselle de Thionville à Sierck. Les deux axes de pénétrations fluviaux sont ainsi maîtrisés. L’érection de Sarrelouis, à compter de 1680, assure le contrôle de la Sarre moyenne.
Les entreprises hasardeuses de Charles IV, tourné davantage vers l’Empire que ses prédécesseurs soucieux d’une neutralité plutôt francophile, ont ouvert la boîte de Pandore. S’impose dans de nombreux esprits l’idée que la Lorraine n'est plus vraiment indépendante ni souveraine. Bien entendu, il y a la paix de Ryswick (1697) et la restitution à Léopold des duchés, mais dans des conditions qui mettent à nouveau à mal la souveraineté lorraine. En apparence, c’est un retour à une situation favorable pour le duc, notamment avec la fin de la route d’Alsace déterminée en 1661, la restauration de la Cour souveraine de Lorraine et de Bar et de l’administration ducale, le retour des archives. Toutefois, Nancy est démantelée, Longwy passe à la France et le duc doit laisser libre passage aux troupes françaises. L’application du traité est mise à mal avec la guerre de Succession d’Espagne et la troisième occupation française et il faut attendre le traité de Paris (1718) pour en voir la mise en œuvre officielle. De plus, un élément important d’une souveraineté affirmée, l’évêché, reste hors de maîtrise du duc : après d’infructueuses tentatives de ses prédécesseurs, Léopold n’obtient qu’un primat, sa capitale restant soumise à l’évêque de Toul et ses terres à des évêques « français » ; il n’a dès lors aucune prise sur la juridiction ecclésiastique ni sur les marques nécessaires à l’affirmation du lien Eglise/Etat. Enfin, la guerre de Succession d’Espagne n’a pas permis au duc de faire valoir une position de médiateur, qu’il aurait pu jouer entre Bourbon et Habsbourg, qui lui aurait assurer l’une des plus belles marques de souveraineté. Plus tard, en 1718, Léopold ne parvient pas à intégrer la Quadruple Alliance contre l’Espagne, et perd un moyen de faire-valoir sa place au sein des Etats : les duchés ne sont que des Etats de second rang dans la dépendance des puissances voisines. La souveraineté, derrière le voile de l’autorité ducale retrouvée, est factice à l’échelle européenne. Afin de tenter de sauver ce qui peut l’être, Léopold travaille à l’affirmation de la neutralité de ses Etats en octobre 1728, ce qui n’empêche pas la France d’occuper à nouveau les duchés à partir d’octobre 1733 dans le contexte de la guerre de Succession de Pologne.
La frontière des Etats lorrains apparaît, en ce début du XVIIIe siècle, comme largement tributaire de la volonté de la monarchie française. Le déplacement de la frontière militaire de la Meuse vers le Rhin alsacien et le système Moselle-Sarre, hors de toute maîtrise ducale, souligne avec force l’idée d’une suzeraineté française dans la région, appliquée de facto lors des réunions. De fait, ce petit Etat ducal a-t-il encore en main son destin ou non à compter du premier tiers du XVIIe siècle ? Le duc Léopold porte à présent le titre d’Altesse royale mais Louis XIV fait mine d’ignorer la chose avant le traité de Paris même si son envoyé a pour ordre d’employer la formule. Surtout, les bruissements d’un échange possible des duchés contre le Milanais, au cours de l’année 1700, montrent clairement à quoi songe le roi de France et aussi le possible abandon par le duc des ses terres. Charles IV a en partie trahi sa noblesse, Léopold achève de rompre l’idée de la fidélité à la maison ducale.
L’indépendance officielle vit dès lors ses dernières années : le cheminement de l’annexion est connu. Rappelons seulement que le dernier duc de la Maison de Lorraine, François-Etienne, n’est que très peu présent dans ses Etats pour leur préférer la cour de Vienne. Dès 1732, Versailles songe à l’annexion. Dans une lettre du 6 avril 1732, M. de Chavigny indique au secrétaire d’Etat des Affaires étrangère Chauvelin : « je ne serais pas surpris que les ministres anglais soucieux de soutenir la Pragmatique [Sanction] se proposent de nous ménager quelque avantage qui pût nous tenter et qui pourrait être la cession de la Lorraine » (31). Le propos est assez net : le duc n’est pas mandé dans cette affaire…et le sort des duchés se discute entre le cardinal Fleury et l’empereur Charles VI.
On connaît la suite et l’accession de Stanislas Leszcynski au trône ducal à titre uniquement viager, à partir des Préliminaires de Vienne (30 octobre 1735) puis de la cession des duchés, en deux temps : septembre 1736 pour le Bar et février 1737 pour la Lorraine. François-Etienne, époux de Marie-Thérèse à compter du 12 février 1736, devient alors grand-duc de Toscane. La succession linéaire des faits montre la réalité de la souveraineté ducale : d’une part, le principal intéressé ne participe pas aux discussions, d’autre part, une solution simple a été écartée : l’abdication de François-Etienne de Lorraine en faveur de son frère Charles, ce qui aurait eu pour conséquence le maintien de l’Etat lorrain. Il n’en a rien été alors que Louis XIV, certes dans le jeu des paroles diplomatiques, a écrit au roi d’Angleterre en 1700 : « l’acquisition de la Lorraine n’ajoutera rien à mon pouvoir, car cet Etat est si enveloppé de toutes parts par mes possessions qu’il est a jamais impossible à un duc de Lorraine de prendre parti contre moi » (32).
Cette annexion de fait, au cours des années 1730, révèle aussi autre chose : la fin des principautés au sein de la zone d’influence française et surtout que dans la pratique d’Etat, l’idée d’une cohérence Etat, espace et frontières s’est imposée. La voie de la limite est dès lors ouverte dans l’espace lorrain.
III. L’Etat et la limite
La quête de la limite est devenue en quelque sorte une volonté raisonnée des Etats au cours du XVIIIe siècle, en lieu et place des conquêtes armées. L’idée qui prévaut désormais consiste en la résolution de soucis liés aux frontières complexes dans un contexte politique nouveau qui touche entre autres directement les frontières du Nord-est du royaume. La guerre est bien présente mais ne constitue plus un moteur de la construction frontalière : si elle est de nouveau portée contre l’Autriche lors de la guerre de Succession du même nom, si les Pays-Bas autrichiens sont occupés en partie par les Français, Louis XV ne cherche pas à conserver ces territoires, ce qui n’a d’ailleurs pas été compris à l’époque. Les approches diplomatiques visant à céder à la France les Pays-Bas autrichien sont écartées par la France elle-même. Cela indique trois choses. D’une part, le temps des annexions guerrières, en Europe occidentale, semble révolu pour un temps, comme l’a bien souligné D. Nordman en soulignant le passage des questions de frontières du secrétariat de la Guerre à celui des Affaires étrangères (33). D’autre part, la perception des territoires évolue : on ne pense plus en possession/acquisition territoriale comme seule valeur ; on prend en compte les intérêts/désavantages liés à ces territoires, d’où le regard porté par la suite sur les enclaves. Enfin, cela montre que les relations entre Habsbourg et Bourbon ont changé, assez pour envisager une diplomatie du rapprochement, qui s’exprime dans le renversement des alliances mais aussi dans une réelle dynamique de rectification frontalière pacifique. Les prolégomènes ont d’ailleurs été jetés dès les discussions concernant la Lorraine. Lors de la convention du 11 avril 1736 entre Versailles et Vienne, l’article séparé numéro deux stipule : « convenu reciproquement que, par rapport aux différentes enclaves & terres meslées avec les différents Princes de l’Empire, il sera pris, de concert avec Sa Majesté impériale, de telles mesures & arrangemens, que l’on ne laisse subsister aucune occasion ou pretexte, qui pourroit donner lieu à troubler le repos & la bonne intelligence réciproque. Les presens articles separez auront la même force que s’ils étoient inserez mot à mot dans la convention d’aujourd’hui » (34). Si les aspects concrets de cet article ne prennent corps qu’après la guerre de Sept Ans, on perçoit dès 1736 une volonté nouvelle car on nomme le souci : l’enclave et les terres mixtes, deux entités et constructions territoriales qui ne peuvent bien s’accommoder avec la limite. L’ingénieur du roi Duval de Bonneval le souligne en 1747 : « les mélanges de territoires sont entièrement contraires au repos et à la Police de deux Etats qui s’avoisinent » (35) . De même, l’introduction de la convention d’échange entre France et Nassau (1766) évoque les « troubles » et les « différents si préjudiciables » aux intérêts de toutes les parties auxquels il faut substituer « les avantages de la bonne intelligence & du bon voisinage » (36). Enfin, les nécessités de circulation commerciale ont joué en faveur d’une simplification de la frontière vers la limite pour sortir des méandres des droits et usages liés à la seigneurie. Voilà le panel des motifs pragmatiques au redécoupage ponctuel de la frontière pour lequel la religion n’a pas de poids en ce XVIIIe siècle (37). La stabilité frontalière est recherchée avec l’ensemble des voisins dans l’établissement de limites incontestables, a priori donc discutées et négociées, reflets d’une conception étatique nouvelle de l’espace.
La mise en œuvre de la limite supposait l’abandon de prétentions de part et d’autre fondées sur des héritages, successions et droits seigneuriaux : de fait, on assiste en ce XVIIIe siècle à la fin du droit féodal comme moteur de construction de l’espace et de contestation permanente, pour lui substituer une vision nouvelle de l’Etat et de son inscription dans l’espace, reposant sur une conception plus globalisante de l’espace, qui ne peut plus guère se satisfaire de scories territoriales. De fait, les négociations frontalières peuvent dès lors être entreprises entre des partenaires inégaux car ce ne sont plus des rapports de force qui prévalent mais bien plutôt un équilibre interne à chaque Etat qui nécessite un équilibre sur les frontières. Celui-ci passe par des opérations de rectification, souvent par l’échange, qui peuvent apparaître pour des détails mais qui permettent d’imposer dans un espace incontesté la souveraineté de l’Etat. Autant dire que le primat d’une souveraineté dont les arguments pouvaient être fallacieux, moteur de l’expansion française aux XVIe et XVIIe siècles, a donné lieu à compter de la fin du premier tiers du XVIIIe siècle à une vision plus statique de l’inscription dans l’espace de l’Etat. De la souveraineté contestée nous sommes passés à une souveraineté reconnue parce que établie dans le cadre d’accords négociés, de contrats entre parties. Evidemment, le jeu était en parti faussé en raison du poids de la France face à de petits Etats voisins. Jean-François Noel l’avait déjà souligné par exemple pour les rapports avec le comte de la Leyen (38). Ensuite, si échanges il y a eu, ils n’ont pas concerné toutes choses, notamment les rentes seigneuriales qui firent que des princes allemands percevaient des rentes pour partie sous domination française, « système donnant à la France l'avantage de détenir sur son propre territoire des gages de la fidélité des princes limitrophes » (39). Ce n’est donc pas tant la possession foncière qui va jouer sur la frontière que la définition de droits inhérents à celle-ci – à savoir si la terre est souveraine ou non – et de droits sur les sujets. C’est l’emprise de la justice régalienne qui joue, à l’échelle des sujets dont la présence en des terres enclavées ou communes floute les frontières. C’est pourquoi, si la rectification frontalière s’effectue et s’ajuste à une vision territoriale de l’Etat, par l’échange de valeurs de droits divers sur des terres et des sujets « enclavés » au-delà d’une limite que l’on définit, il s’agit bien de faire coïncider au mieux Etat et administration de la justice souveraine.
A regarder les opérations de régularisation, force est de constater que toutes n’ont pas abouti, en particulier sur les confins alsaciens (40) ou lorrains. C’est le cas du comté de Créhange divisé en quatre parties enclavées en Lorraine plus la seigneurie de Saarwellingen enclavée dans le comté de Nassau-Sarrebruck. Ces deux entités politiques peuvent laisser penser à un échec mais ce serait aller dans le sens d’une entreprise systématique pour « purger » la frontière, d’autant plus, pour ne prendre que le cas du comté de Créhange, que les trafics interlopes existaient. Cependant, il ne faut certainement pas réduire la politique de la limite à la réduction des enclaves. En effet, la réalité des échanges restait soumise aux contreparties à offrir et aussi tout simplement aux relations diplomatiques et à une vision géopolitique. On invoque souvent la nécessité de garantir les routes – notamment militaires – pour expliquer la velléité des échanges avec le Nassau ou Créhange. Pour le premier, dans la région du Warndt, c’est tout à fait vrai car il s’agit de posséder une route libre de toute entrave politique pour lier Saint-Avold à Sarrelouis. La cession de l’abbaye de Wadgassen et de son territoire règle cela et la route Saint-Avold passe entièrement du côté français, bien que la chose ne soit effective qu’en 1770. En effet, Carling n’est cédé qu’à cette date, non pas que le commissaire aux limites Joseph Mathis n’en ait pas saisi l’importance auparavant. En effet, si le 18 janvier 1767 Choiseul lui reproche de ne pas avoir inclus Carling dans la convention d’échange, village « peut-être le plus important par rapport à sa situation sur la route militaire de St Avold à Sarrelouis et par la gêne que cause au commerce le péage qui y est établi » (41), Mathis a cependant tenté d’en obtenir la cession. Toutefois, placé sous les ordres du maréchal de Belle-Isle, Mathis n’a pu trouver une monnaie d’échange satisfaisante pour le prince du Nassau. Le supplément à la Convention générale, signé le 26 octobre 1770, règle toutefois la cession de Carling à la France, le village « s’étant trouvé isolé et enclavé dans les terres de Lorraine, et coupant d’ailleurs la route militaire de Saint-Avold à Sarrelouis » (42) .
Le comté de Créhange (43) interférait quant à lui en partie la route Metz-Boulay-Sarrelouis et Metz-Saint-Avold. Cependant, l’acquisition d’une enclave « autrichienne » de Bambiderstroff en 1769 a fait perdre toute acuité à cette question, d’autant plus que le comte de Créhange fournit régulièrement des troupes au roi de France, comme le prince de Nassau d’ailleurs. De plus, le passage de troupes françaises n’a jamais subi d’empêchement, la gêne était dans les démarches de demande d’autorisation de passage. De fait, le comté ne connaît pas d’échanges et subsiste jusqu’en 1793.
En fait, plusieurs enclaves territoriales ont perduré au sein des nouvelles frontières du royaume de France alors que seule celle de Kastel subsistait en terre d’Empire, monnaie d’échange trop faible. On l’a vu, le comté de Créhange, celui de Nassau-Sarrewerden, en dépit d’opérations de rectifications ponctuelles (44), le terre de Manderen (du duché de Luxembourg), la principauté de Salm (d’ailleurs affermie en 1751), celle de Montbéliard, sans parler des terres alsaciennes où les possessions d’Empire subsistent encore en nombre.
Ainsi, un tracé moins diffus se dessine au cours des divers traités signés entre 1769 et 1786, la dynamique « domino » de l’échange n’ayant parfois pas abouti. La construction de la limite fait écho à une meilleure vision de l’espace qui se traduit par la carte, à nos yeux plus précise, surtout plus rapidement parlante et la plus précise possible. Les cartes et particulièrement les plans géographiquement circonscrits ont joué un rôle important sans qu’il faille cependant le surévaluer, non dans les négociations de terrain mais dans la prise de décision politique. Le mémoire écrit sur une situation continue de fonder l’entreprise frontalière dans ses détails, la carte ou le plan restant une illustration accommodante pour préciser la situation. Il est vrai que les cartes sont de plus en plus précises, comme celle de l’atelier versaillais des Naudin (45), produite à la suite de relevés de terrain de 1728 à 1739. Cette carte au 1/28 800e n’a pas pour objet spécifique la frontière mais elle en dresse cependant un état, base possible de travail au niveau central, par exemple dans la réflexion sur les communications. Autant dire le rôle essentiel de l’enquête sur le terrain et celui de l’ingénieur géographe. Au cours de la Guerre de Sept Ans, ces ingénieurs travaillent certes pour l’armée mais relèvent aussi les lieux et leur suzeraineté (46). Cependant, il ne s’agit pas d’une entreprise à visée frontalière, ces ingénieurs géographes dont le statut n’est stabilisé qu’en 1777 n’ayant pas à proprement parler pour mission des relevés frontaliers. Le temps de la paix ne les a pas menés sur les frontières mais en Bretagne et sur une carte des chasses royales. Ce n’est que l’ordonnance du 26 février 1777 qui précise qu’en temps de paix, ils travailleront à dresser des plans des frontières : en octobre, M. de Vault fait envoyer dans les directions du génie des modèles de relevés pour les frontières car il y a bien des cartes existantes mais, aux yeux de de Vault, peu exploitables (47). A compter de là, l’envoi d’ingénieurs géographes militaires sur les frontières (48) indique l’impulsion donnée dans le cadre de la dynamique des échanges, sans cependant en être à l’origine. La décision de cartographier avec précision et en cohérence les frontières est impulsée par le gouvernement central et ne laisse plus de place aux hasards de pérégrinations :
« En second lieu, le Roi, voulant qu’il soit dressé des cartes topographiques de toutes les frontières et des limites de son royaume, a jugé que les officiers du corps royal du génie, souvent occupés de travaux relatifs aux fortifications ou d’autres ouvrages dans les différentes provinces, ne pourraient pas suffire à ceux qui ont rapport à la topographie, et que les ingénieurs géographes seraient non seulement en état d’y suppléer, mais aussi d’accélérer les opérations en partageant les travaux avec eux... » (49).
L’objectif du travail est clairement spécifié par M. de Vault à M. d’Aubigny, à la Direction de la Lorraine et des Trois-Evêchés :
« Il y a dans l’étendue de votre direction plusieurs parties intéressantes, non seulement pour ce qui regarde la défense de la frontière, mais aussi relativement aux limites avec les pays étrangers qui en sont voisins. Ce dernier objet méritant dans le moment présent une attention particulière, à cause des négociations ouvertes avec la Cour de Vienne pour régler celles du pays de Luxembourg, vous voudrez bien etablir le travail des officiers du genie et du sieur Hervet entre la Moselle et la Meuse, en longeant depuis la rive gauche de la Moselle, la lisière des pays étrangers, suivant la limitation actuelle » (50).
La connaissance du terrain et une cartographie de plus en plus fine ont pu contribuer à soutenir la volonté de faire au mieux coïncider les frontières avec des éléments naturels, clairement identifiables, et sans idéologie. La quête de la stabilité et du contrôle frontaliers par l’élaboration de la limite s’accommode de frontières naturelles dans la mesure où il faut « fermer un Etat autant que la nature du païs le peut permettre, pour en cas de guerre de deffendre, et en tems de paix le garder facilement contre la desertion et la fraude des droits du Roy et aussi d’oter tout espoir de retraite aux malfaiteurs qui se livrent quelquefois aux derniers excès qu’a la vuë d’un azile assuré, c’est ce qui est occasionné par le mélange des territoires » (51). Le travail de repérage topographique sur les zones d’évolution de l’armée par les ingénieurs géographes au cours de la guerre de Sept Ans a favorisé une réelle connaissance fine et progressive des terrains frontaliers. Autant que faire se peut, l’Etat inscrit ses limites dans une ligne bornée et si possible en accord avec un thalweg ou une crête, un élément de relief. La carte, devenue outil de construction étatique, fixe dès lors les lignes imaginaires déterminées géométriquement et non plus par des droits parfois douteux. La topographie moderne a ainsi permis le passage d’une cartographie globalisante, qui pouvait par exemple montrer un duché de Lorraine annexer virtuellement des terres d’Empire (52), à une cartographie du détail propre à déterminer des frontières clairement identifiables, donc à donner à l’Etat une inscription spatiale plus stable, favorable à l’essor d’une identité nationale.
« L'hexagone semble donc en voie d'être admis comme un « donné », dont il s'agit désormais essentiellement d'aménager les limites, quitte à sacrifier nombre de prétentions hasardées trop loin de la masse territoriale. A une pensée historique et juridique se substitue une pensée d'Etat, très conforme au positivisme du XVIIIe siècle » (54).
Cette analyse de J.-Fr. Noël synthétise la réalité de la construction frontalière dans l’espace lorrain au cours des trois siècles de l’époque moderne. L’Etat ducal n’a pu subsister face au développement spatial de la monarchie, dont la dynamique initiale, militaire, ne peut ignorer des duchés à la francophilie toute relative. Du grignotage féodal la France est passée à une mainmise souveraine, au détriment de l’Etat ducal qui s’est un temps évertué à développer une identité territoriale et étatique. Les événements indiquent que l’Etat cherche à appréhender son territoire et surtout à organiser l’espace de sa souveraineté, ce qui est possible en raison de conditions politiques nouvelles au XVIIIe siècle. La France a progressivement pu imposer une nouvelle conception de la frontière parce qu’il y avait un terreau favorable à une entente nécessaire du côté de l’Empire. La chose est encore à analyser en profondeur. En effet, si le moteur de l’approche française de la frontière est la souveraineté exercée sur un territoire géographiquement cohérent, en opposition avec l’idée d’extraterritorialité, la principauté ne fait pas problème au sein de l’Empire : elle est son cœur. Dès lors, ce sont peut-être deux visions qui ont coexisté et se sont rencontrées pour apaiser une frontière souvent malmenée. Toutefois, le « modèle » français a dû composer avec l’empirisme et d’autres visions que la sienne : la permanence de scories frontalières souligne les limites d’une entreprise étatique et de l’inscription territoriale de la souveraineté.
Notes :
(1) A proximité immédiate des duchés, la principauté de Sedan a également été définitivement intégrée au royaume suite aux choix politiques du duc de Bouillon, en 1642. Dernièrement, une publication a rassemblé des communications sur l’intégration de principautés et territoires au royaume, ni le cas de Sedan ni celui des duchés n’y figurent (Berlioz J., Poncet O. (éd.), Se donner à la France ? les rattachements pacifiques de territoires à la France (XIVe-XIXe siècle), Paris, Ecole des Chartes, 2013).
(2) Pour une vue rapide, en dehors des atlas et cartes, on peut voir la synthèse en sept volumes Schindling A. et de Ziegler W. (éd.), Die Territorien des Reichs im Zeitalter der Reformation und Konfessionalisierung. Land und Konfession 1500–1650, Aschendorff Verlag, Münster, 1989-1997. Le volume 5 concerne la zone sud-ouest de l’Empire, à laquelle est intégrée une présentation de la Lorraine ducale et des Trois-Evêchés.
(3) Voir entre autres Say H., Schneider H. (dir.), Le duc de Lorraine René II et la construction d'un Etat princier: actes de la journée d'étude organisée à l'occasion du 500e anniversaire de la mort de René II, à Nancy (Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle), le 12 décembre 2008, Nancy, 2010 (Lotharingia, XVI).
(4) Marot P., Neufchâteau au Moyen Âge, Nancy, 1932, p. 91.
(5) Cité d’après Bégin E. A., Histoire des duchés de Lorraine et de Bar et des Trois Évêchés, Nancy, 1833, volume 1, p. 365.
(6) Dauphant L., « Construire un Etat territorial lorrain : le rôle des officiers et des archives sous René II », Say H., Schneider H. (dir.), Le duc de Lorraine René II…, op. cit., p. 17-30.
(7) Coudert J., Usages judiciaires et institutions coutumières dans le bailliage de Châtel-sur-Moselle (1450-1723), Nancy, 1985, p. 8-10.
(8) Sur La Mothe, voir Charles J., « L’enceinte urbaine et le château de La Mothe-en-Bassigny. L’apport des plans de l’Architettura Militare de Turin », Lotharingia, XII, 2004, p. 159-207 ; Jalabert L., « La forteresse de La Mothe en Bassigny, bastion de l’Etat lorrain », http://ticri.inpl-nancy.fr/wicri-lor.fr/index.php/Réseaux_de_fortifications_du_Moyen_Âge_à_nos_jours_(Empreinte_militaire_en_Lorraine) ).
(9) Dom Calmet, Histoire ecclésiastique et civile de la Lorraine, tome VI, Editions du Palais Royal, Paris, 1973 p. 112-113.
(10) Cabourdin G., Les temps modernes. 1. De la Renaissance à la guerre de Trente ans, Editions Serpenoise – PUN, Metz-Nancy, 1991.
(11) Ibid., p. 52.
(12) Voir notamment les détails donnés par Digot A., Histoire de la Lorraine, IV, Nancy, 1856, p. 87.
(13) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., VI, col. CCCLXXXVIII-CCCLXXIX.
(14) Ibid., col. CCCLXXIX-CCCLXXX. C’est aussi dans ce texte que le duc cède Stenay et sa prévôté, lesquels reviennent au duc à la suite de la paix de Crépy (septembre 1544).
(15) D’ailleurs, A. Digot rappelle qu’à l’occasion du mariage d’Anne de Lorraine avec René de Châlon, un favori de Charles Quint, le frère d’Antoine indique à ce dernier en août 1540 qu’il refuse d’être évincé de la succession ducale au profit de sa nièce : c’est vouloir mettre en avant la loi salique française, ce que ne reconnaissait alors pas le duc Antoine. Cet aspect ressurgit lors de la succession du duc Henri II, au profit de Charles IV. Trois décennies plus tard, Charles III parvient à faire stipuler dans le concordat de Boulogne la place des femmes comme possible héritières : « […] c’est à sçavoir, que pour pacifier & mettre à fin tous procès & differents, tant meus, qu’à mouvoir, à raison desdits droicts de Regale & Souveraineté, Ledit Seigneur Roy a accordé […] audit sieur Duc de Lorraine & de Bar son beau-frère, tant que luy, que ses descendans qui tiendront les pieces cy-apres declarées, soient masles ou femelles, puissent iouïr & user librement & paisiblement de tous droits de Regale & Souveraineté es Terres du Baillage de Bar, Prevosté de La Marche, Chastillon, Conflan & Gondrecourt, etnus & mouvans dudit Sieur Roy… » (cité d’après Recueil des traités de Paix, 1571-1679, Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Baluze 196, fol. 168-169).
(16) Sur cette affaire, voir Stein H., Le Grand L., La frontière d’Argonne (843-1659). Le procès Claude de La Vallée (1535-1561), Paris, 1903.
(17) Pour ces discussions et les pièces concernant la question de la mouvance, voir A.D. 54, 3 F 60 et 62.
(18) D’ailleurs, le roi de France n’est pas non plus enclin à faire baisser la pression sur les duchés. En 1565, Charles IX, vicaire du Saint Empire, cassa une transaction entre le duc et l’évêque de Verdun, car trop favorable au premier (Dom Calmet, Notice de Lorraine, II, Lunéville, 1840, col. 514).
(19) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., V, col. 738.
(20) Digot A., op. cit., p. 220. Quelques années auparavant, François II de France est venu à Bar suite à son couronnement; cette venue n’a pas donné lieu à des incidents diplomatiques et a été, semble-t-il, une visite d’amitié pour Charles III (Comte d’Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, I, Paris, 1854, p. 18). Cependant, cette visite de toute la cour dans la capitale du Barrois mouvant pourrait être envisagée autrement : la cour ne s’est pas arrêtée à Vitry-le-François…
(21) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., V, col. 734s et 754s.
(22) Cité d’après Digot A., op. cit., IV, p. 361.
(23) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, op. cit., III, preuves, CCCCXLVII-CCCCXLVIII.
(24) Texte intégral dans Dom Calmet, Histoire de Lorraine, III, preuves, CCCCXXXVI-CCCCXXXVIII.
(25) Braun P., « La Lorraine pendant le gouvernement de La Ferté-Sénectère (1643-1661) », Mémoire de la Société d'histoire et d'archéologie lorraine, 1906, p. 109-266, ici p. 127.
(26) Voir Vignal-Souleyreau M.-Ch., Richelieu et la Lorraine, Paris, L’Harmattan, 2004.
(27) Ce traité, qui indique que les duchés sont « libres et non incorporables » à l’Empire, reconnaît une autonomie très forte du duc mais une souveraineté de droit incomplète de 1559 à 1644 : au traité du Cateau-Cambrésis, l’Empire s’est garanti, contre la France, un droit de reprise sur une partie des Etats du duc.
(28) A l’exemple de Georges d’Aubusson de La Feuillade (1668-1697), archevêque d’Embrun et évêque de Metz qui a travaillé à faire valoir les « droits du roi » lors de son épiscopat messin, en particulier lors d’une grande visite en 1680 (Jalabert L., Catholiques et protestants sur la rive gauche du Rhin. Droits, confessions et coexistence confessionnelle de 1648 à 1789, Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 181.
(29) Vignal-Souleyreau M.-Ch., Richelieu et la Lorraine, op. cit., p. 29.
(30) Nordman D., Frontières de France, de l'espace au territoire, XVIe - XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 195.
(31) Cité d’après Livet G., « La Lorraine et les relations internationales », La Lorraine dans l’Europe des Lumières. Actes du colloque organisé par la Faculté des Lettres et des sciences humaines de l’Université de Nancy (Nancy, 24-27 octobre 1966), Nancy, 1968, p. 15-50, ici p. 42 (Annales de l’Est, Mémoire n°34)
(32) Cabourdin G., Encyclopédie illustrée de la Lorraine, op. cit., II, p. 122.
(33) Nordman D., Frontières de France, op. cit., p. 297.
(34) Missy J. R. (de), Recueil historique d'actes, negociations, memoires et traitez depuis la Paix d'Utrech jusqu'à présent, La Haye, Pierre Gosse, 1740, p. 439.
(35) Cité d’après Lemoigne Fr.-Y., « Versailles et Créhange au XVIIIe siècle ou les aléas d’une politique frontalière », L’Europe, l’Alsace et la France. Hommage à G. Livet, Strasbourg, 1986, p. 307-316, ici p. 307.
(36) Landesarchiv Saarbrücken, Nassau-Saarbrück II, Nr. 4331 p. 1-2. Un exemple de cette volonté est l’abandon par la maison de Nassau de ses prétentions sur la ville de Bouquenom et de (Vieux-)Sarrewerden, aujourd’hui Sarre-Union, dont l’appartenance à la Lorraine était contestée.
(37) Voir Jalabert L., « Frontières et religions entre France et Empire : les questions confessionnelles dans les échanges frontaliers de la seconde moitié du XVIIIe siècle avec le comté de Nassau et le duché de Deux-Ponts », Les échanges. Actes des VIe Université d’hiver de Saint-Mihiel, Annales de l’Est, n° spécial 2014 (à paraître).
(38) Noël J.-Fr., « Les problèmes de frontières entre la France et l’Empire dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Revue Historique, 235, 1966, p. 333–346, ici p. 339.
(39) Ibid., p. 340.
(40) Daniel Nordman le relevait déjà dans son analyse d’ensemble (op. cit., p. 371s).
(41) Archives du ministère des affaires étrangères, Fonds limites Nassau 157.
(42) Koch Ch., Table des traités entre la France et les puissances étrangères depuis la Paix de Westphalie jusqu’à nos jours, 2 volumes, Bâle, 1802, vol.2, p. 294. Le souci stratégique est d’ailleurs rappelé dans l’article 9 où le roi obtient la nue souveraineté sur les cantons forestiers de Wilhelmbrunn, Stangen, Hespenhubel et Ronnheidgen.
(43) Voir Lemoigne Fr.-Y., op. cit.
(44) Voilà pourtant un bel exemple d’enclaves : le comté est enserré dans les terres lorraines puis françaises, et en son cœur se trouve une autre enclave française… La fin des revendications nassauviennes sur Bouquenom et Sarrewerden a fait perdurer la situation jusqu’au rattachement à la République française en 1793.
(45) Husson J.-P., Les cartes Naudin et la représentation cartographique de la Lorraine au début du XVIIIe siècle, Les Naudin entre Meuse et Vosges, Metz, médiathèque du Pontiffroy, 2003.
(46) Bousquet-Bressolier C., « Les ingénieurs géographes militaires au XVIIIe siècle et la naissance de la cartographie moderne », Villèle M.-A., Beylot A., Morgat A. (dir.), Du paysage à la carte. Trois siècles de cartographie militaire en France, Vincennes, 2001, p. 48-55, ici p. 50.
(47) Détail des cartes dans Berthaut H., Les ingénieurs géographes militaires, 1624-1831. Tome 1, Imprimerie du service géographique, 1902, p. 70 et 94.
(48) Ibid., p. 66-67.
(49) Circulaire du 12 mars 1777, citée d’après Ibid., p. 69.
(50) Cité d’après ibid., p. 94-95.
(51) Mémoires de Bonneval, cité par Nordman D., op. cit., p. 306.
(52) Par exemple sur la carte de Didier Bugnon (1725), Mappa geographica ducatus Lotharingiae..., les limites septentrionales du duché de Lorraine intègrent des terres du comté de Nassau-Sarrebrück (http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40620200g). D’autres exemples semblables existent.
(53) Noël J.-Fr., op. cit., p. 347.