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N°6-7 mai-novembre 2015 : Les médias : approches géohistoriques et géopolitiques:

L'accord nucléaire entre le Brésil, l’Iran et la Turquie vu par New York Times et Le Monde (11/2009 – 06/2010)

Aline Tissot


Par Aline Tissot (Content Manager, Imediapp-marketing mobile, diplômé du master Médias et mondialisation, Université Panthéon-Assas)



Résumé : Cet article propose d’analyser la manière dont la presse quotidienne généraliste transmet des informations à propos des relations internationales. À partir de l’étude des évènements autour de l'accord nucléaire signé entre le Brésil, la Turquie et l’Iran en 2010, publiées par Le Monde et New York Times, il met en évidence la dimension géopolitique des médias. Il démontre que ces deux quotidiens ont adopté le point de vue des membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et celui des grandes puissances.



Mots clés : relations internationales, géopolitique, presse, journalisme



Abstract : This article aims to analyze how the general daily press transmits information about international relations. From the study of the events surrounding the nuclear agreement signed between Brazil, Turkey and Iran in 2010, published by Le Monde and New York Times, this work seeks to demonstrate that these two newspapers tend to report the facts from the point of view of the permanent members of the Security Council of the UN.



Key words – international relations, geopolitics, press, journalism



Introduction



Théophraste Renaudot, premier journaliste et fondateur de la presse française en 1631, a aidé à créer en France le mouvement de la presse d'information qui prêche la quête de la vérité (Martin, 1990). Selon ce mouvement, le journal doit servir de lieu d'expression libre et d’espace de contre-pouvoir, et doit défendre le droit à l'information en respectant la vérité. Ces principes fondamentaux qui encadrent l'activité journalistique ne suffisent toutefois pas à comprendre cette pratique dans le contexte historique actuel, où les conditions économiques, sociales et culturelles sont en constante évolution et interfèrent fortement dans la pratique journalistique. Une grande partie des chercheurs critique l'action des journalistes contemporains qui ne semble pas être en accord avec le rôle de quête de la vérité établi pour la profession (Rieffel, 2010). Ces intellectuels voient avec mépris les effets des médias sur la population et produisent une théorie critique, qui suggère que les grands médias sont des outils de diffusion de l'idéologie dominante.



Cet article propose d’analyser la manière dont la presse quotidienne généraliste transmet des connaissances à propos des relations internationales à partir de l’étude des évènements autour de l'accord nucléaire signé entre le Brésil, la Turquie et l’Iran en 2010, publiées par Le Monde et New York Times. La couverture de ces deux quotidiens suscite plusieurs interrogations. Est-ce que les journaux partagent la même vision sur les relations Brésil-Iran-Turquie? Comment les journaux voient les actions de ces pays et comment vont-ils traiter de leur tentative de reconfigurer la géopolitique internationale ?



The New York Times et Le Monde représentent deux traditions journalistiques très différentes: le journalisme anglophone, basé sur les principes d’objectivité depuis ses origines et un modèle plus commercial, et le journalisme français, héritier d’un style d’écriture plus littéraire et politique. Ces deux journaux sont renommés dans leurs pays, sont l’objet d’un important tirage national et sont aussi reconnus internationalement. Il faut aussi souligner que les deux quotidiens sont édités dans deux pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, et de surcroit deux puissances nucléaires. Ces journaux parviennent-ils à traiter l’événement avec impartialité et cherchent-ils à partager les différents points de vue sur le sujet, ou sont-ils soumis à la vision des « 5+1 » ?



Le corpus de référence de ce travail est composé par les articles publiés au Le Monde et au NYT entre le 1ernovembre 2009 et le 30 juin 2010. Les dates comprennent la visite du président Ahmadinejad au Brésil le 23 Novembre 2009 et deux autres événements d'importance majeure pour cette analyse : la signature de la Déclaration conjointe du Brésil, de l'Iran et de la Turquie le 17 mai 2010 et le vote du Conseil de sécurité des Nations unies (CSONU), le 9 Juin 2010, approuvant les sanctions sur le programme nucléaire de l’Iran. La période choisie sera divisée en trois parties pour permettre de comprendre le débat relatif à la signature de l'accord sur le nucléaire et aussi de repérer les trajets discursifs ainsi qu’un possible changement d’opinion des journaux.



 



I. La Déclaration Conjointe irano-turco-brésilienne          



Depuis l'été 2002, avec la découverte de sites nucléaires non déclarés par l'Iran, les pays connus comme les 5+1 - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de L’Organisation de Nations Unies (ONU) plus l’Allemagne, tentent de parvenir à un accord concernant le projet nucléaire iranien afin d'éviter l'utilisation de matières nucléaires à des fins non pacifiques (Errera, 2005). Malgré son affirmation d’une utilisation pacifique de l’uranium, l'Iran est critiqué pour son manque de transparence dans son programme nucléaire. En octobre 2009, les États-Unis, la Russie et la France ont fait une dernière proposition au gouvernement iranien : un accord  pour échanger 1200 kg d’uranium faiblement enrichi contre 120 kg de matériau enrichi à un niveau suffisant pour des fins pacifiques et non militaires. L’accord prévoyait l’expédition de l’uranium iranien faiblement enrichi en Russie et en France pour son enrichissement. L'Iran, sentant ses intérêts non assurés par les termes de l’échange, a rejeté l'accord, qui prévoyait le retrait de l'uranium iranien de son territoire et une attente d'environ une année pour la restitution de la matière sous forme enrichie. Au regard de l'Iran, rien ne garantissait qu'il puisse récupérer son uranium.



Le ministre des Affaires étrangères du Brésil Celso Amorim a estimé que ces propositions ne pouvaient pas aboutir parce qu'elles n'acceptaient ni le droit à un programme nucléaire pacifique de l'Iran ni l'enrichissement de l'uranium, aspects auxquels le pays ne renoncerait pas (Amorim, 2010). Dans ce cadre, le Brésil, en partenariat avec la Turquie, a décidé d'intervenir et de se positionner comme médiateur pour établir un dialogue et persuader l'Iran d'accepter l'accord. Alors que l’Iran était sous la menace de nouvelles sanctions, après trois séries de sanctions appliquées par l’ONU de 2006 à 2008, ces deux pays ont repris l’accord des 5+1 pour échanger avec l’Iran de l'uranium faiblement enrichi contre un matériau enrichi à un niveau suffisant pour des fins pacifiques mais insuffisant pour des objectifs militaires. Leur but était d’éviter les sanctions et d’établir une relation de confiance avec l’Iran afin d’aborder des questions plus vastes avec ce pays problématique. 



Finalement, le 17 mai 2010 à Téhéran, le président brésilien Luís Inácio da Silva, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan et le président iranien Mahmoud Ahmadinejad ont signé l’accord d’échange d’uranium en souhaitant que l'échange de combustible nucléaire soit un instrument de coopération. Le nouvel accord prévoyait l’expédition de 1200 kg d'uranium iranien en Turquie pour rester sous surveillance turque et iranienne. En échange, après un an, l'Iran aurait le droit de recevoir 120 kg de matériau enrichi à 20% par la Russie et par la France.



Pourtant les préparatifs du vote pour des sanctions contre l’Iran étaient déjà en mouvement depuis longtemps. Le 9 juin le CSONU a voté en faveur de la Résolution 1929/2010; tout en reconnaissant l'importance de l'action du Brésil et de la Turquie, cette résolution a fait valoir que l'Iran rendait difficile à l'AIEA l’accès aux informations sur son programme nucléaire et a ainsi élargi les mesures restrictives imposées antérieurement à ce pays (CSONU, 2010). Le Brésil et la Turquie étaient les seuls pays à voter contre des sanctions.



II. 1e période (01/11/2009 – 14/05/2010) : La visite d’Ahmadinejad au Brésil et les premiers mouvements pro– sanctions



La visite du président Iranien Mahmoud Ahmadinejad au Brésil le 23 novembre 2009 est un moment décisif. Même si peu d’articles ont été consacrés à ce jour particulier, celui-ci est le sujet qui ouvre l’agenda des journaux aux événements entourant l'accord entre les trois pays. Cette première période analysée présente les articles publiés entre le 1er novembre 2009 et le 14 mai 2010, la vieille de la rencontre entre l'Iran, le Brésil et la Turquie pour la signature de l'accord.



Dans cette première période, les journalistes se montrent méfiants et n’imaginent pas qu’un accord entre l’Iran et des pays émergents puisse être réalisable. La tentative de médiation du Brésil et de la Turquie d’une situation aussi problématique était considérée trop ambitieuse pour des pays sans le pouvoir d'influence et de dissuasion des grandes puissances.



Le Monde publie un seul reportage au sujet de cette visite, un événement qui passe presque inaperçu dans ce quotidien. Par contre, New York Times consacre trois articles à la visite d’Ahmadinejad au Brésil. Dans son premier article, New York Times émet ses préoccupations, bien qu’encore minimes, en concluant que l'ambition du Brésil de devenir un acteur diplomatique plus important met en danger les efforts des États-Unis pour contrer le programme nucléaire iranien.



L'absence d'article en décembre dans les deux journaux montre que la visite elle-même n'a pas été considérée comme importante et que le projet d’un nouvel accord nucléaire semblait irréalisable. Ensuite, les deux quotidiens ont traité des préparatifs de l'accord entre ces deux pays (et la Turquie ultérieurement), sous forme de rappels de petite taille. Ce sujet perd son importance face aux discussions pour la mise en place de nouvelles sanctions contre l’Iran. Ce qui préoccupa les puissances et les deux publications étudiées, au vue de la proportion d’articles consacrée à chaque sujet, c’est moins la possibilité de réussite de l’accord entre le Brésil, la Turquie et l’Iran que la campagne de lobbying sur les pays du Conseil de sécurité de l’ONU pour les convaincre de voter en faveur des sanctions.



Les articles du New York Times traitent principalement de la tentative américaine de persuader la Chine et la Russie de discuter et d’approuver la nouvelle série de sanctions plus sévères contre l’Iran.  Au Monde, les articles ne sont pas exclusivement consacrés à ce thème, mais il sera traité au travers d’autres sujets fortement liés à cette campagne : l’accusation du manque de soutien de certains pays en faveur des sanctions,  l'échange de critiques entre l'AIEA et l'Iran et le sommet contre le terrorisme nucléaire promu par les Etats-Unis.  Toutefois, Le Monde consacre quelques colonnes afin de traiter des thèmes qui ne l’ont pas été par New York Times, tels que le manque de progrès dans le désarmement nucléaire, l’inaction des pays détenteurs des armes nucléaires, des points de vue prenant la défense du dossier nucléaire iranien voire soutenant la nécessité d’adoucir les sanctions.



III. 2e période (15/05/2010 – 09/06/2010) : La signature de l’accord d’échange d’uranium.



La deuxième période analysée s’étale du 15 mai 2010 au 9 juin 2010 et inclut la visite du président brésilien et du Premier ministre turc en Iran afin de discuter du dossier nucléaire iranien et de signer un accord entre les trois parties le 17 mai 2010. Cette période s’étend jusqu’au dernier article publié avant la session du Conseil de sécurité de l’Onu pour le vote de sanctions et permet l’observation de l'impact de la signature de l'accord dans les journaux.



À plusieurs reprises, Le Monde et NYT suggèrent que l’accord négocié avec les dirigeants de la Turquie et du Brésil était une tentative habilement chronométrée pour mettre l'effort des sanctions sur la mauvaise voie.  Les titres des articles dans New York Times ne cachent pas le pessimisme des États-Unis sur la rencontre entre les trois pays: « U.S. is skeptical on iranian deal for nuclear fuel » et « Brazil's Iran Diplomacy Worries U.S. Officials » (Articles publiés dans le New York Times du 15 au 18 mai 2010). Peu de temps après la signature de l'accord, le ton de dépréciation est évident aussi dans les titres et les chapeaux du Monde : « Les principaux points d’un accord limité », « Un accord conclu entre, l’Iran, Brésil et la Turquie complique l’adoption de nouvelles sanctions » et « Accord aux contours très flous sur l’uranium enrichi, à l’encontre des efforts occidentaux pour accroitre la pression sur Tehéran » (articles publiés dans le Monde le 18 et 19 mai 2010).



Dans cette deuxième période étudiée, Le Monde publie un seul article qui couvre spécifiquement la rencontre entre Lula, Ahmadinejad et Erdoğan pour la signature de l’accord. Suite à la signature du 17 mai, Le Monde produira deux petites notes descriptives et une brève qui feront mention de l’accord. Le 21 mai, le journal publie en une, la caricature faite par Plantu pour montrer son regard plutôt critique sur l’accord nucléaire. Presque dix jours après la signature, le 26 mai, une nouvelle note explicative apparaît dans la section des résumés d'événements internationaux. Ce sera le dernier texte du Monde mettant l’accord en évidence. Aucun article ne traitera du progrès de l’accord après sa signature.



En opposition, NYT publie un article de plus grande taille qui répond aux préoccupations de la visite du Brésil et de la Turquie en Iran à un moment diplomatiquement sensible. Les trois articles suivants feront encore référence à l'accord, mais toujours avec un regard sceptique. Même si le New York Times a écrit des textes beaucoup plus longs sur le sujet, l'accord lui-même et ses termes sont relégués au second plan, en raison d’un plus grand traitement des impressions du gouvernement des États-Unis et d'autres puissances sur le sujet, et d’une affirmation de la nécessité de sanctions.



La signature de l’accord, n'est pas célébrée comme une victoire dans les journaux. Les articles ne donnent aucun crédit au Brésil et à la Turquie ni pour leur tentative diplomatique ni pour avoir obtenu une signature pourtant rare de l’Iran. Au contraire, avec cet accord signé, l’existence d’un programme nucléaire militaire en Iran devient une évidence, et les articles des journaux laissent supposer que le Brésil et la Turquie se sont fait duper par l’Iran qui ne chercherait qu’à gagner du temps, raisonnement renforcé par la volonté de l’Iran de poursuivre l’enrichissement de l’uranium à 20% sur son territoire.



Le New York Times publie sur cette période des articles aux thèmes variés, mais la question des sanctions est mentionnée à presque toutes les occasions. Il traite de la réunion d'examen du TNP et des conséquences pour la politique du Brésil et de la Turquie après la signature de l'accord, principalement en reliant la question de la flottille turque qui a essayé de traverser le blocage de Gaza. Mais les nombreux articles consacrés à la campagne américaine en faveur de l’adoption des sanctions publiés durant cette période donnent une impression d’urgence et de grande inquiétude.



Le Monde n'a pas publié avec la même intensité que NYT la volonté des puissances d’approuver les sanctions et explore d'autres questions qui ont surgi à la suite de l'accord: la tentative des pays du Sud de devenir une nouvelle force dans les négociations mondiales et la possible perte conséquente de l’hégémonie américaine et européenne, les relations entre France et Brésil après l’accord, les suspicions sur le programme nucléaire Brésilien et le désarmement nucléaire.



La période est marquée par le manque d’enthousiasme du Monde. Son montant d’articles est comparable au NYT, pourtant le total de mots publié par le quotidien français est presque la moitié. On peut tout de même noter que suite au succès de la signature de l'accord, les deux journaux ont intensifié la production de news sur les attitudes que d’autres pays devraient adopter sur le dossier nucléaire iranien.



IV. 3e période (10/06/2010 – 30/06/2010) : La session de l’ONU pour le vote des sanctions contre l’Iran



Le 9 Juin 2010, les sanctions contre l'Iran sont votées par le Conseil de Sécurité de L’ONU. Ceci est le principal événement de la troisième période, dont les résultats ont été publiés le lendemain matin par les journaux. Pour cette raison la troisième période comprend les articles publiés à partir du 10 juin jusqu’au 30 juin 2010, moment où les questions relatives à la signature de l'accord perdent de la force.



Les journaux annoncent, à plusieurs reprises, qu’après la dernière tentative d'accord faite par les États-Unis et la Russie en octobre 2009, l'Iran a considérablement augmenté son stock d'uranium faiblement enrichi. En outre, en février 2010, l'Iran a annoncé qu'il allait commencer à produire de l'uranium enrichi à 20%. Compte tenu de ces deux aspects, ce nouvel accord en faveur de l'échange d'uranium à 3% contre de l’uranium à 20% dans le même modèle de l'accord de 2009, proposé par les Etats-Unis et la Russie, ne semblait plus avoir d’intérêt, ni pour les puissances, ni pour les journalistes.



Finalement, après l’approbation des sanctions contre l’Iran, la Turquie, le Brésil et le Liban restaient les seuls pays qui ne les soutenaient pas. Les cinq puissances du conseil de sécurité ont perçu l’investissement de la Turquie et du Brésil sur le dossier iranien comme une intrusion illégitime et mal préparée dans les affaires des grands États nucléaires. Cette vision est répandue continuellement dans les pages du NYT et du Monde, qui ont conclu que sans le soutien des puissances, ce plan de dialogue diplomatique ne pourrait jamais aboutir.



Lors du vote du Conseil de sécurité des Nations Unies, l'approbation des sanctions parait en première page du New York Times. Le journal publie d’autres articles célébrant ce vote, mais regrettant que les sanctions n’aillent pas «assez loin». Les articles s’inquiètent des deux voix contre de la Turquie et le Brésil. Bien que le quotidien ait prévu cette position, il montre à plusieurs reprises l’insatisfaction des pouvoirs causée par ces votes. Le journal indique que la nouvelle résolution n'a pas porté le poids symbolique d'une décision unanime.



Le Monde a dédié aussi de la place en Une au résultat du vote. Le journal avance que face aux soupçons qui pèsent sur l’Iran, l’ONU n’avait pas de choix, bien qu’il se montre sceptique : les sanctions ne feront pas céder l’Iran. La longueur de la discussion pour la formulation du texte de sanctions et les négociations avec la Russie et la Chine pour le transformer, ont affaibli le sentiment de détermination ferme de l’ONU. L’espoir reste alors dans les sanctions volontaires plus dures, mises en œuvre par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Les journalistes explorent à plusieurs reprises le refus obstiné de la République Islamique d’interrompre son programme d’enrichissement de l’uranium, ce qui pour eux confirme sa culpabilité.



Dans la semaine suivante de la décision de l'ONU de sanctionner l'Iran, les Etats-Unis et l'Union européenne ont annoncé leurs propres sanctions contre des individus et des sociétés iraniennes, considérés comme liés au programme de missiles nucléaires de l'Iran. Times dédie deux fois plus de pages pour cet événement que le journal Le Monde.



Malgré ces deux semaines de plus forte activité, la production d'articles diminue à partir de la troisième semaine. Le contenu des articles suggère une certaine tranquillité, une sorte de soulagement suite au résultat du vote de l'ONU et le silence retombe sur l’activisme diplomatique brésilien et turc.  Après l'adoption de sanctions, les papiers réaffirment la suprématie des Etats-Unis et de l’Europe pour décider du cours des relations internationales et confirment l'émergence des pays du Sud en tant que médiateurs  mais restant limités dans la prise de décision.



V. La place pour la multiplicité d’opinions



Une analyse des rubriques a indiqué que la plupart des articles ont été publiés sur la section d’actualités internationales : la rubrique «International» du  Monde et la rubrique «Foreign» du NYT. Cinq de ces sujets sont parus en première page du New York Times et quatre en Une du Monde. Le reste étant des éditoriaux, des lettres, brèves, articles de l'opinion, et une caricature de Plantu paru à la Une du Monde.



Dans NYT on trouve cinq éditoriaux, qui définissent avec clarté le positionnement du journal en ce qui concerne le dossier iranien. Ils soulignent qu’une pression unifiée des puissances est nécessaire pour stopper le programme nucléaire iranien. Avec un ton poignant, un des éditoriaux pointe la nécessité de se préparer pour une éventuelle guerre contre l'Iran, au cas où il soit en mesure de développer des armes nucléaires. Aucun des textes ne cache l’opinion que l’implication du Brésil et de la Turquie dans le dossier iranien soit un acte naïf et maladroit. Les sanctions approuvées par l'ONU sont les bienvenues. La majorité d’articles publiés dans la rubrique d’actualité internationale suivent le même point de vue des éditoriaux.



Pour sa part,  les trois éditoriaux du Monde ne défendent pas tous la même thèse. L’un d’entre eux exprime un avis qui ne reflète pas nécessairement la majorité des articles publiés dans sa section « International » et les brèves publiées dans la section « 24 heures dans le monde ». Il se positionne en faveur d'une réforme de l'ONU et de l’ouverture de sièges au Brésil et à l’Inde afin d’être plus représentatif de la géographie du pouvoir actuel. Les deux autres éditoriaux prennent un ton plus dur. Le premier dénonce les dangers d'un Iran nucléaire et la nécessité de la Chine de démontrer son sens des responsabilités en rejoignant les puissances dans la pression contre l’Iran. Le deuxième se satisfait du résultat des sanctions et est très critique quant à l'intrusion du Brésil et de la Turquie dans l’affaire iranienne.



Par rapport aux articles d’opinion, NYT ouvre moins de place aux avis extérieurs à la rédaction que dans Le Monde. Dans New York Times on retrouve 5 articles « Op-Ed » (de l’anglais opposite the editorial page, les op-eds ont étés nommées par leur position géographique dans le journal, opposé à l’éditorial, et non parce que des opinions seraient exprimés dans ces colonnes) et une lettre de lecteur, qu’au Monde 13 articles sont publiés, entre interviews, articles de la rubrique « Décryptages » et une lettre. Il convient de noter que le NYT n'a pas d'entrevues et que le journal Le Monde, à travers trois interviews différentes, ouvre la parole au ministre des Affaires étrangères du Brésil Celso Amorim, à Sergio Duarte, chargé du Désarmement à l'Onu et de nationalité brésilienne et Abdullah Gül, président de la Turquie.



La section « Op-Ed » du NYT publie, en général, des articles d'écrivains indépendants, mais il peut aussi y figurer des articles rédigés par des journalistes du NYT. Les « Op-Ed » et les lettres sont placés dans l’éditorial, mais au contraire de l'éditorial, sont signés par l'auteur. La section « Décryptages » du Monde est constituée d’environ trois ou quatre pages réservées aux débats (tribunes, billets d'humeur, réactions publiques) ou à une enquête sur un point d'actualité, normalement écrit par des collaborateurs non affiliés à la rédaction du journal.



Dans sa section d’opinion, sur le sujet qui nous concerne, Times présente deux articles des chroniqueurs de son équipe, trois articles de contributeurs provenant de l'extérieur de la rédaction du journal et une lettre d’un lecteur. Les articles des chroniqueurs et l’un des articles des collaborateurs ne diffèrent pas du ton et de la position de la plupart des articles parus dans le NYT: ils sont clairement critiques face au programme nucléaire iranien et aux tentatives brésiliennes et turques pour renouer le dialogue, et défendent le maintien de la puissance militaire américaine en parallèle à une réduction d’armes des autres pays, pour assurer la sécurité mondiale.



Les deux autres articles des contributeurs et la lettre traitent du même thème: la question de la flottille turque qui a essayé de briser le blocus naval autour de Gaza et l’engagement de la Turquie avec le programme nucléaire iranien. L’un des textes présente positivement l’engagement turc auprès des Palestiniens et traite discrètement des évènements autour de L’Iran. Les deux autres présentent un point de vue d'Israël sur la question, et ont condamné cet acte de la Turquie et sa position sur le programme nucléaire iranien, des critiques qui sont reprises dans une série d'articles du Times dans sa section d’actualité internationale. Ainsi, on observe que seul un article s'écarte de la ligne éditoriale du NYT qui conteste le programme nucléaire iranien et défend plutôt les sanctions que le dialogue diplomatique.



Dans les pages d'opinion du journal Le Monde, seul un article d'opinion a été écrit par un membre du journal, les huit autres articles étant rédigés par des hommes politiques, des chercheurs et des spécialistes, qui ne sont pas affiliés au journal. Une lettre d’un lecteur est aussi publiée.



Cet article d’opinion, écrit par Alain Fauchon (« Plus de désarmement nucléaire ? Pas sûr du tout », The New York Times,16 avril 2010), un membre du journal, explique les actions américaines concernant la diminution des arsenaux nucléaires de la planète et lance un regard critique qui expose le clivage nord-sud. Le Monde donne la parole à un lecteur en publiant sa lettre. Il se plaint de la direction prise par leurs éditoriaux et un grand nombre des articles écrits par ses journalistes: il note l’absence de certains éléments qui apporteraient un autre éclairage aux débats et il dénonce le contrôle des Nations Unies sur l'exercice des droits d’un Etat souverain.



Les huit autres articles sont écrits par une grande variété de spécialistes dans divers domaines. Chacun apporte une analyse et un point de vue en fonction de sa spécialité. Les thèmes varient: la prolifération et le désarmement nucléaire, les problèmes internes de l'Iran, le multilatéralisme en opposition à l’hégémonie des Etats-Unis et de l'Europe et l'implication de la Turquie dans les discussions sur le programme nucléaire iranien.



Cette multitude de points de vue converge sur un aspect important : ils font état d’éléments oubliés ou en opposition à ceux  traités par les journalistes du Monde. Les articles démontrent aussi un scepticisme quant à la promesse du désarmement nucléaire faite par les puissances et certains dénoncent l'hypocrisie du TNP, qui divise le monde en pays détenteurs ou non de l’arme nucléaire. D’autres notent la nécessité d'un multilatéralisme plus efficace et préconisent la fin de l'hégémonie américaine et européenne. Seuls deux des huit articles critiquent la position turque et  brésilienne face à la question du programme nucléaire iranien.



Conclusion



D’après ce que nous avons constaté, il est clair que la ligne editoriale du Monde et du New York Times sur les événements englobant la signature de l’accord irano-turco-brésilien était alignée sur celle des membres les plus puissants du Conseil de Sécurité de l’ONU. Ainsi comme les grandes puissances, les quotidiens ne reconnaissent pas la valeur de l’accord comme un instrument diplomatique. L’accord tripartite a été traité avec un regard critique et dépréciatif. Les journaux considèrent que la manœuvre turque et brésilienne a été maladroite et naïve et que les sanctions étaient la seule solution pour le programme nucléaire iranien. L’activisme diplomatique de ces pays a été vu comme un exemple à ne pas suivre, une intrusion dans les affaires des grands médiateurs internationaux, ceux disposant d’un vrai pouvoir de décision et capables d’imposer des contraintes.



Pourtant, même si les deux quotidiens reflètent plutôt le regard onusien, on peut noter des différences importantes quant à leur style d’écriture et leurs choix éditoriaux. Tout d’abord Le Monde semble consacrer peu de place pour traiter de ce sujet, en comparaison au New York Times. Alors que New York Times a publié quelques dossiers de grande taille, aucun des articles dans Le Monde n’a dépassé les 1 600 mots. La moyenne totale de ses articles atteint environ 500 mots, quand dans New York Times cette moyenne atteint près de 800 mots. On en conclu que les problèmes liés à la signature de l’accord entre le Brésil, la Turquie et l’Iran ne le touchent pas autant. Il est très clair que les enjeux autour des sanctions est le sujet considéré comme le plus important pour les journaux, durant toutes les périodes étudiées. L’attention autour des sanctions a pris plus d’ampleur à mesure que les relations entre l'Iran, le Brésil et la Turquie avançaient et a culminé au moment du vote.



On peut aussi noter que New York Times a un manuel de style de rédaction très rigide, imposé à ses journalistes, et qui respect les règles d’objectivité définies par le style journalistique anglophone. Cette façon de maintenir l'objectivité sert aussi à cacher la ligne biaisée du quotidien. L’écriture du Monde, plus flexible, souvent dotée d’un style plus littéraire, s’oppose à celui du Times. En revanche, Le Monde est un journal beaucoup plus ouvert à la diversité d'opinions que New York Times, si l'on considère qu’il a consacré de la place à des articles aux  opinions contrastantes avec celles du journal. En ouvrant cet espace à des opinions divergentes, le quotidien reconnaît l'importance de compléter sa vision, pour réussir un journal plus objectif.



Bibliographie



Amorim C., 2010, Brazil- Iran: paths for a negotiation « Brasil and the New International Order » in Lessa A.et Rolland D., Relations Internationales du Brésil : les chemins de la puissance, volume 2, L'Hartmattan, p. 247-250.



Conseil de Sécurité de l'ONU, Résolution 1929/2010, 9 juin 2010, ttp://daccess-ddsny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/396/79/PDF/N1039679.pdf?OpenElement dernier accès le15 juin 2011.



Errera P., 2005. «La crise nucléaire iranienne », AFRI-Annuaire Français de Relations Internationales.



Martin M. 1990, Dictionnaire du Grand siècle, Fayard, sous la direction de Bluche F., p.1322-1323.



Rieffel R., 2010, Sociologie des médias, Ellipses.



 


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