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N°9 novembre 2016 : Géographie historique du Japon d'Edo et ses héritages:

Préserver les savoir-faire et inventer la modernité au Japon : les entreprises dites shinise. L’exemple des maisons de douceurs japonaises (wagashi)

Sylvie GuichardAnguis


Par Sylvie Guichard-Anguis (Chargé de recherche CNRS, Laboratoire Espace, Nature et Culture (ENeC), CNRS/Paris-Sorbonne



Resumé : Le Japon présente le cas d’une culture caractérisée par des phénomènes assez exceptionnels de continuité qui contrastent avec une modernité sans cesse renouvelée. L’époque d’Edo (1602-1868) est de plus en plus considérée par l’historiographie contemporaine comme les siècles pendant lesquels le Japon contemporain s’est mis en place dans de multiples domaines. Le choix de cet article se porte sur les entreprises auxquels le qualificatif de shinise est accolé. Ces derniers sont des établissements qui produisent, commercialisent depuis au moins un siècle un type de produits et dont la direction se transmet de génération en génération au sein de la même famille. En 2009 la sortie d’un ouvrage constituait pour la première fois une enquête assez exhaustive sur la question (Teikoku dēta banku, 2009). Son objet principal portait sur les entreprises fondées avant 1912 et la distribution des shinise par catégorie d’activité y souligne l’importance de la culture alimentaire. Selon cette enquête, grossir n’est pas la priorité mais conserver la réputation et le savoir-faire le sont au contraire. Parmi les shinise les maisons de douceurs japonaises wagashi offrent un très grand intérêt, décuplé par les multiples rôles investis par ces commerces. Ces maisons constituent des lieux de mémoire à plusieurs titres non seulement sur le plan architectural et paysager mais aussi par la nature des produits proposés. Elles jouent un rôle non négligeable sur le plan touristique non seulement en tant que destination mais aussi parce qu’elles offrent des produits qui évoquent le lieu et restent ancrés dans l’échange des cadeaux et l’offre de souvenirs. L’analyse porte sur la présentation rapide de deux maisons. Une courte introduction de ce que l’on nomme douceurs japonaises (wagashi), de leur apparition historique à l’époque contemporaine permet d’éclaircir leur rôle dans la société. Leur histoire se révèle intimement mêlée à celle du sucre. L’essentiel des modèles affectionnés par les maisons de douceurs illustre un vocabulaire constitué à l’époque d’Edo, qui se réfère en partie à une esthétique mise en place durant cette période siècles. Façe à un début de désaffection un désir de re positionnement de cet univers culturel dans la culture alimentaire japonaise du XXIe siècle est à l’œuvre et bien souvent ce sont les shinise qui ouvrent la voie.



Mots-clés : Japon, shinise, maisons de douceurs, douceurs japonaises (wagashi)



Abstract: Japan is a country which culture is characterized by a rare phenomenon of continuity and by an ever evolving modernity at the same time. The Edo period (1602-1868) is considered by contemporaneous historians as the centuries during which today Japan took shape. This paper considers enterprises to which the word shinise is associated. Very briefly those enterprises produce or sell products from more than a century and have been handed down from one generation to the other through the same family. In 2009 a book offering a very large analyse of this phenomenon for the first time was published (Teikoku dēta banku, 2009). This volume is concerned by enterprises founded before 1912. Classifications of shinise by their categories of activity underlines the importance of food culture. According to this survey, the priority is not to grow bigger and bigger but to keep an excellent reputation and know how. Among those shinise Japanese sweets wagashi shops offer a great interest as they play several roles. Those shops play the part of places associated with different memories through their buildings, based on historical architecture, urban landscape etc. The main characteristic of their products may also enhance this perception. They also play an important part in tourist attraction.  They sell products which tell something about the local place and can be bought as souvenirs, a habit still very popular among Japanese people. In this article, two of those Japanese sweets shops are quickly introduced, and then the world of Japanese sweets is briefly depicted. The history of Japanese sweets has an intimate relation with the one of sugar. The most popular models make allusion to a vocabulary created along the centuries during the Edo period. Due to some loss of interest the need of an adaptation to the customers of the 21century is felt and shinise are the ones which create those revolutions.




Keywords: Japan, shinise, confectionary shops, Japanese traditional sweets (wagashi)



Introduction




Le Japon présente le cas d’une culture qui d’une part offre des phénomènes assez exceptionnels de continuité et d’autre part l’image d’une modernité sans cesse renouvelée. Outre les catastrophes naturelles qui font invariablement un chapitre voire plusieurs dans les histoires urbaines (shi-shi) compilées par les municipalités, de nombreuses périodes ont été à l’origine de très profondes ruptures du lien social, de catastrophes matérielles et immatérielles etc. Il suffit de citer les guerres civiles du XVIe siècle, la rénovation de Meiji, la seconde guerre mondiale, l’occidentalisation toujours plus poussée depuis les années 1950 pour n’en mentionner que quelques-unes. Aussi face à de tels obstacles nous pouvons nous demander comment ces phénomènes de continuité arrivent-t-ils à traverser les siècles tout en se réinventant et en s’adaptant au présent lui –même en perpétuel mouvement ? Cette apparente contradiction active en réalité des mécanismes sur lesquels nous allons nous interroger et c’est donc sur cette capacité d’adaptation au présent sans réelle rupture avec le passé sur laquelle cette analyse va porter.



L’époque d’Edo (1602-1868) assimilée à une longue période de fermeture sur l’extérieur si l’on excepte le point de contact officiel de l’ile de Dejima à Nagasaki est de plus en plus considérée par l’historiographie contemporaine comme des siècles pendant lesquels le Japon contemporain a été mis en place dans de multiples domaines. En effet malgré les réformes impulsées par la rénovation de Meiji qui ont mis fin au monde féodal, bien des formes ont survécu et traversé les époques suivantes jusqu’à nos jours. Elles ont su franchir l’obstacle de cette occidentalisation et modernisation à marche forcée afin de poursuivre leur propre évolution au cours du XXe puis du XXIe siècle.



Parmi elles notre choix se porte sur les entreprises auxquels le terme de shinise a été accolé. La définition de ce dernier s’avère extrêmement difficile et comme l’écrit Gotō dans son introduction (2014) ils existent « mille différences et dix-mille particularités » (sensa banbetsu) de s’appeler shinise. En quelques mots les shinise sont des établissements qui produisent, commercialisent depuis au moins un siècle un type de produits et dont la direction se transmet de génération en génération au sein de la même famille. A titre d’exemple cinq d’entre eux appartiennent à l’association des Hénokiens fondée en 1981, qui regroupe une quarantaine d’entreprises familiales bicentenaires (1). L’auberge traditionnelle (ryokan) Hoshi serait même la plus ancienne entreprise dans le monde car elle aurait été fondée en 718 dans l’actuelle station thermale d’Awazu sur le territoire municipal contemporain de Komatsu au bord de la Mer du Japon. Actuellement dirigée par la 46e génération elle figure à ce titre dans le Guiness book des records mondiaux. Parmi les quatre autres, trois relèvent de la culture alimentaire dont un producteur de saké Gekkeikan fondé en 1637 et deux maisons de douceurs Akafuku créée en 1707 et Toraya au XVIe siècle. Appartenir à cette association ne constitue pas une obligation mais cette forte proportion d’entreprises japonaises bicentenaires centrées sur l’offre de produits alimentaires pose la question de leur représentativité, comme de l’existence d’une tendance peut-être profonde parmi ce type d’établissements.



 Face à l’extrême diversité des shinise, cette analyse porte sur les maisons associées à l’offre de produits alimentaires et tout particulièrement à celui des douceurs japonaises (wagashi), choix suggéré par l’existence de ces deux maisons. Force est de s’interroger sur les raisons qui ont permis à de tels établissements de franchir autant d’obstacles, d’origine humaine (guerres, transformation de la demande suite à l’occidentalisation et la modernisation etc.) ou naturelle (catastrophes diverses) durant 200 ans ou plus pour poursuivre leur activité au XXIe siècle. Dans un premier temps un tableau rapide de ces shinise va être esquissé afin de faire apparaître quelques tendances majeures. Ensuite un rappel de la place des douceurs dans la culture japonaise permettra de comprendre les raisons d’être de ces maisons, leur diversité et la variété de leurs réponses à une évolution économique sociale politique et culturelle sans cesse en mouvement jusqu’aux abords du XXIe siècle.



 



I. Quelques généralités sur les shinise et plus particulièrement sur ceux en rapport avec l’alimentation



Le premier constat à faire relève de l’indigence de la bibliographie en sciences sociales sur la question, sans doute due à la difficulté d’appréhension d’un tel sujet. Plusieurs ouvrages qui sélectionnent un certain nombre de shinise cherchent à en donner une image globale, sans pour autant appréhender l’ensemble (Gotō, 2014 et Tanaka, 2015). Quelques articles récents, le plus souvent de la main de journalistes, tentent de faire prendre conscience de l’importance de cette question. De fait les principaux travaux généraux reviennent à l’initiative du monde économique qui peut déployer des moyens extrêmement importants pour cerner un tel sujet. En 2009 la sortie d’un ouvrage fit beaucoup parler de lui dans les media, car il constituait pour la première fois une enquête assez exhaustive sur la question (Teikoku dēta banku, 2009). Cette société privée fondée en 1900 fournit des informations sur les entreprises japonaises et possède plusieurs milliers de chercheurs. En 2009 elle publie une synthèse sur cette question dont la traduction en français signifie « Les conditions pour des entreprises afin de durer plus de 100 ans. Les shinise n’ont pas peur du changement ». Cette énorme enquête a mobilisé plus de 1500 chercheurs auprès d’entreprises de plus de 100 ans, laissant de côté toutes les organisations associées au domaine éducatif dans un sens très large ou religieux. Son objet principal portait sur les entreprises fondées avant 1912. En d’autres termes cela signifie que ces dernières ont survécu à toutes les catastrophes du XXe siècle, naturelles et humaines, des grands séismes comme celui qui a frappé Tokyo en 1923 aux bombardements de la fin de la seconde guerre mondiale, sans oublier les opérations de reconstruction et réaménagement sans cesse à l’œuvre dans les grandes villes japonaises etc.



La présentation suivante se fonde sur cette étude effectuée en 2008, sans doute la plus exhaustive jamais réalisée. Selon cette dernière il y a au Japon 19 518  établissements de plus de 100 ans, dont 938 de plus de 200 ans, 435 de plus de 300 ans. Ces chiffres assez exceptionnels seraient encore beaucoup plus élevés car nombre de petites entreprises individuelles ont échappé à cette enquête (Teikoku dēta banku, 2009 : 50-51). D’après Gotō Toshio l’un des universitaires économistes spécialistes de la question, leur nombre s’élèverait à 50 000 pour celles centenaires et à 3000 pour celles de plus de 200 ans.



Le Japon possédait même la plus ancienne entreprise au monde avec Kongō gumi située dans le quartier de Shitennō-ji à Osaka. Spécialisée dans la construction tout particulièrement de monastères bouddhiques, son origine remonterait à 578 avec l’édification justement de Shitennō-ji (monastère Shitennō). En 2006 la 50e génération des Kongō dépose le bilan de l’entreprise suite à de graves problèmes financiers provoqués par la bulle financière et celle-ci devient une filiale de Takamatsu corporation. Tous les employés et le savoir-faire ont été conservés dans cette nouvelle entreprise qui reste la dépositaire d’une expérience professionnelle de plus de 1400 ans et a participé à l’édification de quelques-uns des plus grands monuments architecturaux historiques japonais.



Parmi les douze entreprises les plus anciennes en 2009, fondées entre 578 (Kongō gumi) et les années de l’ère Kenkyū (1190-1199), la moitié appartient à la catégorie de l’hébergement. A ce titre l’auberge traditionnelle (ryokan) Hoshi citée ci-dessus en constitue un parfait exemple. Deux shinise associés directement à l’offre de produits alimentaires figurent également dans cette liste. Les origines d’un fabriquant de saké à Kasama dans le département d’Ibaraki remontent à 1141 et cette maison Sudo honke se trouve actuellement entre les mains de la 55e génération. Le commerce de thé Tsūen depuis sa fondation toujours à l’entrée du pont sur la rivière Uji dans l’actuelle ville du même nom remonterait à 1160 (Fig. 1).



Document 1. La maison de thé Tsūen à Uji, shinise datant de 1160





(cliché Sylvie Guichard-Anguis)



 



La distribution des shinise par catégorie d’activité souligne l’importance de la culture alimentaire avec à la première place la fabrication du saké (637 entreprises), suivie en second du petit commerce de cette boisson (514) et à la septième des grossistes toujours de saké (336) (Teikoku dēta banku, 2009 : 56). Les auberges traditionnelles arrivent en quatrième position (467) et les maisons qui fabriquent des douceurs japonaises en douzième position avec 222 établissements. La production de produits alimentaires associés à la fermentation que ce soit le saké ou la sauce soja (shoyu) sans oublier la pâte de soja fermentée (miso) occupe une place fondamentale dans la pérennité de ces entreprises, d’autant plus que ces denrées s’avéraient essentielles dans la conception du régime alimentaire japonais jusqu’à une époque très récente.



Les enquêteurs de Teikoku dēta banku ont demandé à ces shinise de désigner par un seul caractère chinois la notion qui leurs semblait la plus importante. C’est celui de la confiance (Shin) qui arrive à la première place, suivi en second par celui de la sincérité (Sei ou Makoto) et en troisième par celui de la continuité (Kei). Presque la moitié des shinise (48,9%) n’a pas changé de nom depuis les origines, par contre à l’opposé les méthodes de vente constituent le domaine qui s’est le plus transformé (78,7%), suivis par les produits et les services offerts (72,4%). Dans l’ordre la confiance, la tradition et la renommée constituent les points les plus forts et à l’opposé le conservatisme peut leurs nuire. En d’autres termes ce qui fait la force des shinise peut aussi constituer leur point le plus faible. Savoir conserver leur renommée tout en restant associé à un certain type de produits qui a fait leur réputation au cours des siècles, tout en sachant épouser la demande contemporaine, voilà l’un des principaux enjeux auxquels il sont confrontés. Ces derniers expliquent que les méthodes de vente constituent le domaine qui a le plus tendance à se transformer comme celui des services offerts. De même l’offre de produits doit épouser cette évolution perpétuelle, ce qui explique que ces derniers peuvent être amenés à subir de profondes transformations tout en restant fidèles au savoir-faire qui fait la réputation de l’entreprise en question. L’étude d’exemples parmi les maisons de douceurs fera apparaître de manière concrète cette capacité à dire la modernité, tout en restant ancrée dans un savoir-faire issu de plusieurs générations, sans dénaturer la réputation du shinise en question.



Il va sans dire que les shinise ont eu plus d’une fois à affronter de très graves périodes de crise au cours de leur longue histoire et que parfois même le problème de leur survie s’est posé. Les enquêteurs de Teikoku dēta banku ont demandé d’établir la liste de ces périodes par ordre de gravité. Cette dernière livre l’ordre suivant. Les guerres occupent la première place (34,2%), suivies de la perte d’attractivité du produit (27, 5%), des fonds de roulement (21, 4%), des catastrophes naturelles (19,2%), du décès du propriétaire (11,5%) (Teikoku dēta banku, 2009 : 29). Si les guerres civiles japonaises n’ont jamais embrasé l’ensemble de l’archipel, la seconde guerre mondiale a particulièrement marqué les mémoires des familles propriétaires de shinise. Tout d’abord la disparition sur les champs de batailles du successeur de la direction de l’entreprise inquiète le plus, suivi par la disparition physique de l’entreprise comme des lieux de fabrication, puis le manque de matières premières, le rationnement des produits etc. Cet ordre se révèle particulièrement révélateur de la façon dont fonctionnent ces entreprises. Tant que les dirigeants sont en vie, la transmission peut s’effectuer et qu’importe si le magasin et le site de production disparaissent, ils pourront toujours être reconstruits. La famille et ses employés sont susceptibles de ne former qu’un seul bloc face à des difficultés matérielles ou financières. La présence d’une éthique explique cette capacité à faire face à l’adversité, associant les efforts de chacun au sein de l’entreprise dans le but d’une reconstruction. Cette dernière permet de comprendre que les conflits de travail ne constituent pas une crainte majeure pour les dirigeants et que seule la perte d’un employé de qualité peut constituer une véritable menace. Il va de soi tout de même que ces destructions pèsent très lourd financièrement sur l’existence même de ces shinise. Cet obstacle semble plus facilement surmontable que celui de la disparition du successeur, qui brise la chaîne de la transmission de génération en génération d’un certain savoir-faire, et surtout d’une éthique qui sert de colonne vertébrale à la direction du shinise.



En effet pour 77,6% des entreprises interrogées les préceptes familiaux (kakun), la politique de la société (shaze), les préceptes de l’entreprise (shakun) constituent les référents fondamentaux en matière de direction (2). Cette caractéristique s’avère essentielle et cela depuis des siècles, que ces préceptes ou politiques paraissent sous forme de règlements ou fassent l’objet d’une instruction orale secrète (kuden) (3) (Teikoku dēta banku, 2009 : 24). Divisés en quatre catégories, les domaines sur lesquels portent ces préceptes ou politiques se révèlent par ordre d’importance les suivants : les articles et les services, les hommes, les finances et le reste (Teikoku dēta banku, 2009 : 38-42). La première catégorie souligne l’importance du savoir-faire, de la réputation de la qualité qui y est associée, tous deux étroitement liés à cette éthique. La poursuite de l’activité telle qu’elle a été transmise d’une génération à une autre représente l’essentiel de cette attitude. Elle explique que la question financière occupe le troisième rang. Grossir n’est pas la priorité, mais conserver la réputation et le savoir-faire le sont au contraire. Les comptes financiers d’un échantillon de 1913 entreprises ont été analysés. Leur chiffre d’affaire se situe pour plus de 60% d’entre elles à moins de cinq milliards de yen soit environ 40 millions d’euros (Teikoku dēta banku, 2009 : 168-171). Bon nombre de ces shinise suivent une sorte de précepte transmis de génération en génération qui dicte la conduite du dirigeant. Ainsi une maison qui fabrique et commercialise des douceurs a adopté la phrase qui se rattache à la pratique du zen (zengo) : gyō un ryū sui (Les nuages passent et l’eau coule) (Teikoku dēta banku, 2009 : 42). Elle fait allusion au caractère inévitable du changement comme à celui de la continuité, et donc invite le dirigeant à ne pas se laisser distraire par d’éventuels obstacles, mais à poursuivre son chemin.



Enfin en dernier lieu quelques précisions sur l’implantation géographique des shinise permettent d’achever ce rapide tableau. Tokyo la capitale concentre le plus grand nombre de shinise au Japon, mais seulement un faible pourcentage proportionnellement, en raison de la très forte concentration d’entreprises de tout genre due à son rôle de centre économique du pays. Ensuite viennent les départements de Kyoto, Shimane, Niigata, Yamagata, Shiga, Fukui etc. D’une part parmi eux nous trouvons l’ancienne capitale Kyoto et d’autre part les départements qui correspondent à des fiefs associés à la route marchande maritime du nom de Kitamaebune (4) comme Shimane, Niigata, Yamagata, Fukui à l’époque d’Edo. Dans le département de Shiga ancienne région d’Oomi une culture marchande a pris son essor à la même époque et s’est diffusée dans tout le pays.



 



II. Maisons de douceurs japonaises et rôle social des wagashi



Parmi les shinise les maisons de douceurs japonaises wagashi offrent un très grand intérêt, décuplé par les multiples rôles investis par ces commerces. Sur le plan des paysages urbains, nombre de ces shinise, se distingue souvent par l’ancienneté de leur construction qui témoigne de l’histoire urbaine locale et d’une période prospère qui a marqué les lieux (Fig.2), caractéristique qui ne leurs est pas réservée.



Ces maisons constituent des lieux de mémoire à plusieurs titres, non seulement sur le plan architectural et paysager, mais aussi par la nature des produits proposés. Elles jouent un rôle non négligeable sur le plan touristique, non seulement en tant que destination, mais aussi parce qu’elles offrent des produits qui évoquent le lieu et restent ancrés dans l’échange des cadeaux (Fig.3) et l’offre de souvenirs, habitudes encore très présentes au sein de la population japonaise.



Document 2 : Maison de douceurs Tajimaya-rōka à Taketa (Kyūshū), shinise remontant à 1804





(cliché Sylvie Guichard-Anguis)



 



Document 3 : Linéaire de boîtes de douceurs et gâteaux sur une aire d’autoroute





(cliché Sylvie Guichard-Anguis)



 



Par ailleurs la consommation de leurs produits s’inscrit dans des pratiques culturelles comme les cérémonies de thé etc., qui constituent un référent essentiel de la richesse et du niveau culturels de la ville. Deux exemples rapides vont nous permettre de mieux comprendre cette abondance de sens et leur imbrication. Intentionnellement ces deux exemples sont situés dans deux régions opposées géographiquement et à l’écart des grandes régions urbaines, espaces centraux de l’activité économique. Ils sont destinés à permettre de comprendre à quel point cette culture irrigue l’espace japonais jusque dans les contrées les plus isolées sur le plan géographique. Il s’agit de la maison Oosakaya à Hirosaki dans le département d’Aomori (Fig. 4) à l’extrême nord du Tōhoku et de Tajimaya rōho à Taketa au centre de Kyūshū.



 



Document 4 : La maison Oosakaya à Hirosaki, shinise remontant à 1630





 



(cliché Sylvie Guichard-Anguis)



 



La création de la maison Oosakaya remonte à 1630 et doit son nom à son fondateur, ancien vassal du clan de Toyotomi Hideyoshi (1537-1598) l’un des trois grands unificateurs du Japon. Vaincu à la suite des deux sièges du château d’Osaka, où il avait regroupé ses forces, l’hiver 1614 et l‘été 1615, ce clan fut anéanti. Tous les vassaux survivants durent trouver refuge le plus loin possible de la capitale du nouveau shogunat des Tokugawa établie à Edo l’actuelle Tokyo, qui ainsi ne disposait plus d’aucun rival sérieux. Cette maison devint un fournisseur officiel (goyōtashi) du clan Tsugaru qui dominait toute cette partie du Tōhoku à l’extrême nord-est de Honshū, et dont le centre était la ville sous le château (jōkamachi) de Hirosaki. Cette maison possède encore de nombreux coffres-présentoir qui portent l’emblème (mon) de cette famille seigneuriale, qui attestent des liens étroits entre ce commerce et les daimyos successifs du clan Tsugaru. Lors de commandes provenant du fief, ils étaient garnis et ensuite livrés au château. En 1773 la quatrième génération de cette famille crée une douceur intitulée Take nagashi (5) qui va faire la célébrité de cette maison et devient une spécialité reconnue dans une grande partie du Japon, toujours en vente au XXIe siècle. L’actuel dirigeant qui appartient à la treizième génération, après avoir suivi un stage de quatre ans à Kyoto chez Kameya Kiyonaga (6) s’est formé pendant de longues années auprès du représentant de la génération précédente des Fukui.



La maison Tajimaya rōho à Taketa remonte à 1804 et aurait été la première de ce type apparue dans l’actuel département d’Oita (7). Son fondateur viendrait de Toyooka dans l’actuel département de Hyōgo, voisin d’Osaka et Kyoto. Il aurait été formé pendant quelques années dans la maison Surugaya (8) à Kyoto avant d’être appelé à s’installer dans le centre du fief des Nakagawa dont la ville sous le château (jōkamachi) Taketa est située au centre de l’ile de Kyūshū. Une création très récente de cette maison attire l’attention. En effet il s’agit de deux types de rakugan (9), sortes de douceurs sèches composées principalement de sucre et à peine plus grandes qu’un simple bonbon. Toutes deux de forme ovale représentent pour l’une la vierge Marie et pour l’autre une croix. Au lait pour la première, produit assez singulier en matières de douceurs japonaises comme les lignes ci-dessous vont l‘atester, ce gout s’additionne de menthe pour la seconde. Leur boite reproduit des vitraux. Ces diverses allusions à la religion catholique proviennent directement de l’histoire même de cette région dominée par des daimyos chrétiens pendant quelques décennies au XVIe siècle, avant que cette religion ne soit définitivement interdite en 1614.



Ces deux brefs exemples fournissent déjà quelques informations substantielles sur un grand nombre de maisons de douceurs. Leur présence dans une ancienne ville sous le château comme l’association directe avec le fief en tant que fournisseur officiel de la famille de daimyo qui gouverne la région, la conservation d’un bâtiment ancien, une origine associée à l’ancienne capitale de Kyoto lieu semble-t-il incontournable de la formation professionnelle du fait de la présence de très nombreuses maisons de douceurs, la capacité à innover avec la création de produits qui deviennent de véritables icones culturelles dans le passé comme à l’époque présente, tout cela distingue ces commerces et leurs permet de se voir attribuer l’appellation de shinise.



Ces différents rôles investis par ces maisons ne peuvent se comprendre sans que nous fassions un rapide rappel de l’histoire des douceurs japonaises (wagashi), de leur apparition progressive à leur place dans l’alimentation japonaise du XXIe siècle, sans oublier l’évolution de leur composition (Guichard-Anguis, 1995). La toute première chose à souligner réside dans une histoire intimement mêlée à celle du sucre au Japon, à tel point que les deux se confondent très étroitement. Pendant des siècles, le sucre considéré comme un médicament ou une denrée très luxueuse (Ito, 2008) est totalement absent du régime alimentaire dans l’archipel japonais. Les produits qui accompagnent la consommation de thé vert toujours bu non sucré, boisson dont l’introduction remonte au XIIe siècle restent encore au XVIe siècle en grande partie non sucré. Il faut attendre l’arrivée des portugais ce même siècle pour que les importations de sucre deviennent assez volumineuses pour modifier lentement les modes de consommation du moins parmi les classes dirigeantes en particulier chez les seigneurs. Cependant le sucre reste une denrée très couteuse, ce qui va lui conférer un rôle fondamental dans l’échange de cadeaux, caractéristique qui subsiste tout le long du XXe siècle. Offrir du sucre blanc raffiné s’inscrit tout au long de ce siècle dans les pratiques courantes des échanges de cadeaux. Les grands magasins japonais ne manquent jamais de proposer ce type de denrée sous une forme attractive (Fig.5).



Document 5. Boîte de six kilos de sucre de première qualité proposé par le grand magasin Daimaru dans la première moitié du XXe siècle





(cliché Sylvie Guichard-Anguis)



Au XVIIe siècle le Japon devient un importateur de sucre tel, peut-être le premier au monde par le volume, que l’introduction de cette denrée finit par peser très lourd sur les finances publiques. Face à cet état de fait le 8e shogun Tokugawa Yoshimune (1684-1751) décide de développer la culture de la canne à sucre dans l’archipel au début du XVIIe siècle. A cette fin il établit un décret destiné à favoriser son introduction dans différentes régions du pays où la canne à sucre pourrait s’acclimater. Il s’attache également à faire entreprendre des recherches sur les techniques de raffinement du sucre, étape fondamentale pour disposer de cette denrée. Cette culture d’abord localisée dans les îles Amami au sud de Kyūshū permet la production de sucre brun non raffiné. Au XVIIIe siècle la canne à sucre gagne donc des zones bien plus au nord située dans Honshu et Shikoku. Cette culture se conserve parfois jusqu’à nos jours et marque de façon caractéristique certaines régions. En particulier dans l’île de Shikoku dans les départements actuels de Tokushima et Kagawa cette culture subsiste au début du XXIe siècle. Elle a donné naissance dès le XIXe siècle à un sucre particulier du nom de wasanbon-tō, caractérisé par sa remarquable finesse, dont le renom n’a pas faibli jusqu’à ces dernières années. Cette hausse progressive de la production, la baisse conséquente du prix de cette denrée dans l’archipel permet la généralisation progressive de son usage dans des douceurs qui ne cessent de se diversifier avec les siècles en particulier dans la capitale d’Edo au cours du XIXe siècle. La consommation de produits sucrés s’étend lentement au-delà du cercle des tous premiers consommateurs. Les maisons de douceurs apparaissent tout d’abord dans l’ancienne capitale Kyoto, lieu où se trouvent essentiellement ces derniers appartenant à la classe des dirigeants composée de l’aristocratie, des seigneurs ou des responsables de monastères bouddhiques etc.. Puis ces maisons créent des antennes dans la nouvelle capitale d’Edo, voire y déménagent (Nakamura 2001). Elles s’implantent également en province dans les villes où résident les seigneurs une partie de l’année sous la forme d’autres types d’antennes ou de véritables créations (Fukai 2001, Ego 2002-3) etc.



Il faut souligner que la consommation du sucre s’effectue au sein d’une culture alimentaire qui ignore la notion de dessert et réserve ce dernier aux encas accompagnant le thé. Additionnés à d’autres ingrédients ceux-ci vont prendre progressivement la forme de douceurs. Le développement de cet univers suit la diffusion de la consommation du thé. Cette boisson consommée tout au long de la journée et notamment lors de déplacements donne également naissance progressivement à des pratiques artistiques appelées communément au XXe siècle « cérémonies de thé ». Ces formes de sociabilité fortement marquées par des étiquettes qui font l’objet d’un long apprentissage, constituent un environnement culturel au sein duquel la culture des douceurs va se développer de façon considérable. Les pratiquants de ces « cérémonies de thé » représentent la clientèle la plus fidèle des maisons depuis des siècles.



A l’époque actuelle les douceurs japonaises (wagashi) correspondent à un ensemble extraordinairement vaste et varié, qui ne cesse de se diversifier. Chaque maison de douceurs propose un assortiment extrêmement limité par rapport à la richesse de cet univers. Chacune a à cœur d’offrir quelques spécialités susceptibles de fonder sa renommée sur le temps long. C’est sur la transmission du savoir-faire fondamentalement manuel, destiné à leur confection, que se fonde donc leur réputation. Dans la plupart des récits fournis par les propriétaires de ces maisons se retrouve l’idée d’une recette secrète transmise de génération en génération. Cette réputation s’établit sur des produits de nature et de taille extrêmement variés.



Une très courte évocation de la nature des douceurs permet de comprendre cette extraordinaire diversité. La taille des douceurs va de celle d’un bonbon à des réalisations en sucre de plusieurs dizaines de centimètres produites à l’aide de moules en bois, en général de cerisier, destinées principalement à la mise en exposition lors de rites de toutes sortes plutôt qu’à la consommation. Jusqu’à une époque très récente leur composition ne fait pratiquement pas appel à des produits d’origine animale et c’est une des raisons essentielles pour laquelle le terme de « douceur » a été choisi plutôt que celui de pâtisserie. Appartenant à une très grande variété de types, elles peuvent se classer grossièrement en trois catégories : les fraîches, semi-fraîches consommables pendant quelques jours et sèches qui peuvent se conserver plusieurs semaines. Les premières sont confectionnées à base de pate de haricots blancs et de haricots rouges (azuki) additionnées de sucre en grande quantité, le tout constituant une sorte de pâte à modeler consommable que l’on colore. Semi sèches et sèches (Fig. 6) elles font toujours appel au sucre, à divers haricots sous des formes variées, aux farines de différentes céréales (riz, blé, sarrasin etc.) transformées de multiples façons, parfois à des œufs, des légumes frais (ignames etc.), à la fécule d’arrow root (kuzu, Pueraria Thunberingiana) pour produire un effet de transparence en été etc. Quelques rares produits permettent de les parfumer comme l’armoise commune (yomogi, Artemisia india), yuzu (citrus xjunos), la cannelle etc. (10)



Document 6 :  Douceurs fraîches et semi-fraiches





(cliché Sylvie Guichard-Anguis)



III. Douceurs japonaises contemporaines : désaffection, occidentalisation et diversification



Force est de reconnaître que ces douceurs possèdent toutes pratiquement le même gout ou presque tout au long de l’année, du fait de l’emploi récurent des mêmes ingrédients. Dotée d’une forme précise chaque douceur constitue un mode d’expression souvent poétique et le plus souvent artistique. L’association avec les saisons sous la forme de fleur ou de végétal, les paysages en particulier les lieux célèbres (meisho), les rites associés à des moments heureux (Kamei, 2000) mais aussi malheureux (grâce aux choix des couleurs), et avec certaines pratiques religieuses etc. donne naissance à une infinité de formes. Le modelage, le moulage ou tous autres procédés comme l’association de couleurs pour former des sortes de pain de gelée du nom de yōkan etc., permettent cette très grande variété d’expression. Leur consommation s’effectue exclusivement en compagnie du thé vert sous toutes ses formes (infusé, en poudre, fumé etc.) Les pratiquants des univers associés aux cérémonies de thé concourent également à la création de nouvelles douceurs et quelques-unes des plus fameuses d’entre elles proviennent de la créativité de maîtres de thé célèbres à l’époque d’Edo. L’essentiel de ces représentations affectionnées par les maisons de douceurs illustre un vocabulaire constitué à cette époque, qui se réfère en partie à une esthétique mise en place durant ces siècles (Nakayama, 2003 et Guichard-Anguis, 2012).



Le rôle des douceurs ne s’arrête pas là mais reste longtemps intimement associé aux voyages. Bon nombre des plus célèbres douceurs trouve leur origine dans ces spécialités que les voyageurs à pied, pour la très grande majorité d’entre eux, dégustent au bord de la route (Suzuki, 2013), avant de prendre la forme du contenu des boîtes que l’on trouve désormais sur les aires d’autoroute destinées à des cadeaux souvenirs (cf. Fig.3).  Le très grand nombre de ces maisons remontant à l’époque d’Edo donne naissance à toute une littérature contemporaine qui se spécialise dans leur présentation, qui est destinée à un public d’amateurs. Ces ouvrages peuvent réunir des shinise offrant le même type de douceurs, sembei ou manjū (11) (Honda 1997,1995). Ils peuvent présenter les maisons d’une même région ou un choix sélectif dans l’ensemble du pays (Yamamoto, 2014). Ils invitent les lecteurs à des voyages grâce à leurs photos ou encore les incitent à agrémenter de futures destinations touristiques.



Les douceurs produites par ces maisons subissent depuis la fin du XXe siècle une nette désaffection. Leur consommation associée inévitablement à celle du thé vert, qui baisse continuellement depuis les années 1980, diminue insensiblement. Celles de café et de boissons diverses supplantent lentement celle de thé vert sous toutes ses formes. L’engouement pour la pâtisserie occidentale ne cesse de se renforcer chaque année, à tel point que l’espace attribué aux maisons de douceurs dans les grands magasins cède toujours un peu plus de terrain chaque année à celui des gâteaux, des chocolats etc. au sous-sol qui leur est consacré. L’environnement culturel dans lequel s’insère leur consommation, se trouve de moins en moins familier aux habitants de l’archipel. Les pratiques culturelles ou sociales au sein desquelles elles trouvaient jusqu’à une époque récente une place privilégiée comme les cérémonies de thé, les échanges de cadeaux, la consommation lors de voyages etc. subissent également une certaine défaveur. Ces douceurs se trouvent désormais trop associées à un vocabulaire culturel, à des codes remontant à l’époque d’Edo dont les références deviennent de plus en plus éloignées de la culture contemporaine d’un habitant de l’archipel japonais.



La prise de conscience de la nécessité de sortir cette confection de son environnement culturel intrinsèquement japonais s’est faite lentement au tournant du XXe siècle sous différentes formes. Paradoxalement ces transformations peuvent émaner de milieux culturels aussi traditionnels que ceux des cérémonies de thé ! D’une part les références culturelles incorporent désormais la mondialisation avec la confection de douceurs avec des ingrédients habituels, mais illustrant par exemple la fête de Noël. A ce titre à Kyoto la maison Nikka va encore plus loin en inventant un nouveau vocabulaire iconographique avec entre autre l’invention d’une douceur en forme d’ampoule (akari) (Uchida et Sugiyama, 2013 : 34). Toute la modernité pénètre donc progressivement dans cet univers. La parution d’ouvrages comme ceux de Kanezuka Haruko (Kanezuka, 2002) ont bouleversé le rapport à ces douceurs dont la confection relevait jusque-là du travail de professionnels. En rendant réalisable la confection en petite quantité des douceurs à l’aide du micro-onde, elle redonne le pouvoir aux consommateurs, qui ne sont plus totalement dépendants des maisons de douceurs. L’incorporation de fruits frais ou secs, de cacao etc. permet d’ouvrir la créativité à des modes de consommation beaucoup plus contemporains, qui se rapprochent de ceux de la pâtisserie. Dans cette évolution récente le rôle de la maison Toraya qui remonte au XVIe siècle ne doit pas être oublié. L’ouverture successive de café (12) dans Tokyo a rapproché les habitants de la capitale de cet univers, sous la forme d’un nouveau concept. 



L’extrême éparpillement des initiatives de la part des maisons de douceurs pour relever ces défis contemporains rend très difficile une datation exacte de tous ces bouleversements. Il va de soi que toutes les maisons de douceurs ne se sont pas engouffrées dans cette révolution. Bon nombre d’entre elles maintiennent leur réputation grace à la présence de spécialités transmises au cours des siècles, en conservant l’esprit cité plus haut dans ces lignes. D’autres par contre n’ont pas su renouveler ou diversifier leur offre, ou encore sont situées dans des régions en voie de dépeuplement et de vieillissement de la population, qui constituent des obstacles pratiquement insurmontables à toute velléité de survivre. Cependant les circuits contemporains, sans oublier internet, permettent une commercialisation rapide à travers tout le pays. De petites maisons locales peuvent aussi offrir une partie de leur production dans les commerces de la capitale. La présence d’antennes départementales à Tokyo qui vendent des spécialités de chaque région du pays et en particulier des douceurs, l’existence de points de vente spécialisés comme celui du grand magasin Mitsukoshi qui tout au long de l’année centre une partie de son offre sur les spécialités de ces maisons, constituent pour les plus dynamiques d’entre elles des lieux de familiarisation avec leur production pour des habitants éloignés du lieu de production.



Conclusion



La rapide analyse des shinise parmi les maisons de douceurs japonaises montrent par quels mécanismes ces phénomènes assez exceptionnels de continuité se combinent à  l’image d’une modernité sans cesse renouvelée. Il n’est pas rare de les voir offrir une spécialité dont le mode de confection est transmis depuis plusieurs siècles en même temps qu’une nouvelle création qui incorpore certains éléments de la modernité. La présence d’une éthique transmise de génération en génération soutient cette capacité à l’adaptation comme à la conservation. Le cadre peut être récent ou au contraire faire partie d’un paysage urbain historique, ce qui compte fondamentalement ce sont les hommes à la tête de ces maisons.



 



Références bibliographiques



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Fukai J., « Kinsei goki, jōkamachi Kanazawa no kashiya to kashi ni tsuite » (Deuxième moitié de l’époque moderne, à propos des maisons de douceurs et des douceurs de la ville sous le château de Kanazawa), Wagashi n°8, 2001, p. 44-62.



Gotō T.(dir.), Hyakunen kigyō 100 sen (Les entreprises de plus de cent ans 100 choix), Tokyo, Asahi shinsho.



Guichard-Anguis S., « Les douceurs du Japon, évocations éphémères de la « Beauté japonaise » (Nihon no bi)  », in J. Csergo et E. Cohen dossier Artification du Culinaire (ed.), Sociétés et Représentations, vol. 34, 2012 , pp. 137-147.



Guichard-Anguis S., « Les douceurs. Expressions sucrées de la culture japonaise », dans Blanchon Flora (dir.), Savourer et goûter, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne (coll. Asie) , 1995, p. 259-268.



Honda Y., 1997, Shinise Senbei (Les senbei de shinise), Tokyo, Shogakukan (coll. Shotor Library)



Honda Y., Shinise Manjū (Les manjū de shinise), Tokyo, Shogakukan (coll. Shotor Library), 1995.



Ito H., Satō no bunka shi – Nihonjin to satō (Documents sur la culture du sucre – Les japonais et le sucre), Tokyo, Yasaka shobo, 2008.



Kamei T. et Miyano M., Engi kashi Iwai kashi (Les douceurs de bon augure Les douceurs de fête), Kyoto, Tankosha, 2000.



Kanezuka H., Kichin de tsukuru chaseki no wagashi (Les douceurs japonaise que l’on peut faire en cuisine), Kyoto, Tankosha, 2002.



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Nakayama K.,  Wagashi no sekai (Le monde des wagashi), Tokyo, Iwanami shoten, 2006.



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Suzuki Y, Omiyage to tetsudō Meibutsu de kataru Nihon no kindaishi (Les cadeaux-souvenirs et les chemins de fer. L’histoire de la modernisation du Japon racontée à travers ses spécialités), Tokyo, Kodansha, 2013.



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Uchida M. et Sugiyama S., Nikka no shigoto. Kyō no wagashi chō (Le travail de Nikka. Le cahier des douceurs japonaises de Kyoto), Kyoto, Seigensha, 2013.



Yamamoto H., Edo jidai kara shinise no wagashiya (Les maisons de douceurs shinise qui remontent à l’époque d’Edo), Tokyo, Futabasha, 2014.



Notes : 





(1) Voir à ce propos l’article de Mignon S. (1997).





(2) Voir à ce propos l’article de F. Burguière sur les culture d’entreprises dans le même numéro.





(3) Kuden (les instructions orales secrètes) sont au cœur du phénomène  de transmission au Japon aussi bien dans le cadre des pratiques culturelles comme la cérémonie de thé, le théâtre etc. que des rites associées à des croyances ou des savoir-faire, de l’artisanat à la construction etc.





(4) Kitamaebune désigne la route marchande maritime qui débutait dans la Mer du Japon le long du Tōhoku, pour pénétrer dans la Mer intérieure par Shimonoseki et s’achever à Osaka. Elle permet de comprendre la prospérité pendant plusieurs siècles d’un certain nombre de villes le long de ce littoral. Les propriétaires des bateaux achetaient au départ les marchandises qu’ils transportaient, avant de faire de substantiels bénéfices lors de leurs reventes dans cette grande ville portuaire. Durant l’époque d’Edo Osaka joue le rôle du plus grand centre d’échanges commerciaux en particulier sur le plan des denrées alimentaires.





(5) Take nagashi est un très mince biscuit sec, qui se conserve plusieurs semaines et appartient au groupe de douceurs nommées sembei. Composé de farine de blé, de sarrasin et de sucre, il possède la particularité de se ranger sur le coté dans les boites de présentation.





(6) La maison Kameya Kiyonaga à Kyoto remonterait à 1617. Son existence est attestée par une sorte de guide sur la ville de Kyoto Kyohabutae paru en 1685, qui parmi les différents lieux célèbres (meisho) et commerces indique cette maison.





(7) Voir le site internet : www.tajimaya-roho.co.jp (en japonais)





(8) Avec des origines qui remonteraient à 1461 la maison de douceurs Surugaya serait l’une des plus anciennes du Japon. Son rôle reste fondamental dans le développement historique de ces maisons, car au cours des siècles elle a donné naissance à quelques-unes des plus célèbres d’entre elles sous forme de branches cadettes (bunke), devenues par la suite totalement indépendantes. Il suffit de citer l’une des plus fameuses d’entre elles la maison Sohonke Surugaya installée dans la ville de Wakayama depuis 1619, dont la faillite récente a fait les grands titres dans la presse quotidienne.





(9) Rakugan  se confectionne à l’aide d’un mélange de fécules de céréales, de sucre ou de mizuame (sirop de fécule) additionnés de colorants alimentaires. Le tout pressé dans un moule en bois, prend la forme requise. La douceur (ou les douceurs car un moule peut en comporter une série) une fois démoulée sèche et durcit. Elle peut affecter des formes d’une extraordinaire diversité en fonction des moules. Voir à ce propos Nakayama 2006, p.147-149.





(10) Voir à ce propos l’article de Nakayama K. (2003) dans lequel sont détaillés les ingrédients destinés à la confection des douceurs.





(11) Les sembei désignent des biscuits de toutes sortes, composés de diverses farines, salés ou sucrés, le plus souvent grillés. Les manjū toujours rondes sont composées en général d’une garniture de pâte de haricot enrobée d’une fine pâte à base de farine. Ils existent de nombreuses variantes en fonction des ingrédients utilisés.





(12) Il s’agit successivement du Toraya Café à Roppongi Hills en 2003 qui avait énormément fait parler de lui à l’époque car il rapprochait deux genres totalement distincts jusque-là (le café et la maison de douceurs), de celui d’Omotesando Hills en 2006, de Tokyo Middotaun en 2007, de Tokyo Sutesshon hoteru en 2012 et de Toraya Café Aoyama en 2016. 





 


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